La Tunisie met ses muezzins au diapason

Entre les murs ouvragés d’un vénérable conservatoire de la médina, quelques dizaines de muezzins lancent successivement l’appel à la prière, les yeux fermés, concentrés: un maître s’efforce de rendre leur mélopée plus harmonieuse, et d’en promouvoir la version tunisienne, "typique et pacifique".

Deux fois par semaine jusqu’à mi-avril, les muezzins de Tunis se retrouvent à la Rachidia, l’institut de musique traditionnelle, plus habitué à former des choristes et des joueurs d’oud.

C’est la première fois depuis plusieurs décennies que ces voix du minaret reçoivent une formation sur la dimension musicale de leur tâche, souligne le président de la Rachidia, Hedi Mouhli.

Et c’est pour la bonne cause, explique-t-il: "Quand on entend à 4 heures du matin au fond de son lit une voix qui fait preuve d’une technique, d’une beauté… ça joue – ce sont les muezzins qui invitent les gens à entrer en relation avec Dieu".

"Il y a des appels à la prière (adhan) que nous préférerions ne pas entendre", reconnaît un des muezzins en formation, Adel Hidri, casquette à l’envers et veste en cuir, qui officie dans une banlieue populaire.

Après cette formation vocale, "quand nous ferons l’appel à la prière, les personnes qui nous entendront en seront réjouies", espère-t-il.

On ne badine pas avec l’adhan en Tunisie: un DJ britannique qui avait mixé l’appel à la prière dans une discothèque de Hammamet a été condamné en avril 2017 à un an de prison par contumace.

Les plus grands maîtres, eux, connaissent jusqu’à dix manières différentes de scander les quelques mots qui rythment les cinq prières quotidiennes: "Allah est le plus grand. J’atteste qu’il n’y a pas d’autre Dieu hormis Allah. J’atteste que Mohamed est le messager d’Allah. Venez à la prière."

Pourtant, nombre de muezzins tunisiens recrutés par le ministère des Affaires religieuses montent dans le minaret contre une modeste somme après une formation parfois sommaire.

La vaste majorité des appels en Tunisie ne sont pas enregistrés mais chantés par des muezzins, pour qui c’est une activité d’appoint, apprise sur le tas, parfois transmise de père en fils dans certaines régions.

"Dieu aime ce qui est beau"

Dans une haute pièce de répétition de la Rachidia, où baigne une douce lumière descendue du plafond ajouré, une trentaine d’entre eux, dont des fonctionnaires, des étudiants et des chômeurs, écoutent attentivement.

Tour à tour, debout, les mains sur les oreilles, ils vont chercher au plus profond d’eux-mêmes l’inspiration puis font rebondir les mots sacrés entre les arches de pierres noires et blanches et les faïences ornées de minutieux motifs.

Un des formateurs, Elyes Bennour, les interrompt pour les inviter à mieux placer leur voix ou à ralentir le rythme et moduler davantage les séquences.

"Je viens d’une famille très pieuse, nous apprenons le Coran par coeur", explique ce fonctionnaire quadragénaire qui officie dans une mosquée de la vieille ville. "J’ai deux oncles et un père muezzins amateurs, et mon fils est comme moi, il a une belle voix et il aime ça."

"Le Bon Dieu aime ce qui est beau", sourit le ministre tunisien des Affaires religieuses, Ahmed Adhoum, venu soutenir la première session de formation.

Islam tunisien

Au-delà de la qualité, ce sont aussi les spécificités de l’adhan tunisien, "typique et pacifique", que le ministre dit vouloir préserver. "L’appel à la prière tunisien est joyeux, il y a dans cette voix un appel à la vie, ce n’est pas triste, ni rigide", dit-il.

"Ce sont les mêmes sons, mais la manière de les dire diffère. Le dialecte change", ainsi que le mode musical, explique Fethi Zghonda, musicologue et compositeur qui anime également la formation.

"Il y a des sons plus longs. Il y a des sons où l’on met plus de force en Tunisie, que l’on ne retrouve pas au Moyen-Orient, où ils sont plus resserrés".

En promouvant l’appel à la prière à la tunisienne, le ministère défend également l’islam tunisien, parfois accusé par des mouvements extrémistes ou des pays plus rigoristes d’être dévoyé, alors que ses racines plongent jusqu’aux premiers temps de l’ère musulmane.

"Nous avons une école tunisienne enracinée dans l’islam, dans son identité islamique", souligne le ministre, en ajoutant: "la religion, c’est la patrie". "L’islam n’a jamais été l’islam du terrorisme dont on parle. Et ceci est une occasion de montrer la vérité de l’islam dans le monde musulman et en Tunisie", estime-t-il.

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