La Tunisie au bord du précipice

Aujourd’hui plus que jamais, la Tunisie focalise l’attention régionale. L’expérience qui est en train de s’y dérouler interpelle tous les pays. Il ne s’agit ni plus ni moins que de parvenir entre deux forces antagonistes à un accord politique de transition. Le premier pays à avoir produit l’étincelle du printemps arabe est en train de marcher sur un fil de rasoir. Entre une Libye menacée par l’anarchie et le chaos et une Égypte en guerre contre ses islamistes, la Tunisie incarnait l’espoir des transitions pacifiques.

Fallait-il donc s’y attendre ou s’en étonner? Le dialogue politique engagé entre les forces laïques et le mouvement Ennahda, le pendant tunisien des frères Musulmans, a fini par s’essouffler. Il devait sortir le pays du blocage, éloigner le spectre de la dégradation sécuritaire, parvenir à une transition politique qui passerait la Tunisie des années turbulentes post Ben Ali à une vraie stabilité démocratique et institutionnelle.

Au lieu de cela, le pays de la révolution du jasmin est comme suspendu au dessus d’un gouffre. Le mouvement Ennhada de Rached Ghannouchi semble rechigner sur le prix à payer pour atteindre cette stabilité. Ce prix est clairement déterminé: La formation d’un gouvernement de consensus national transitoire, composé de technocrates apolitiques, et la dissolution du conseil constitutionnel, le seul organe producteur de légalité institutionnelle dans l’ère post révolution.

Sans doute pour gagner du temps, le mouvement Ennahda a longtemps louvoyé. Il a parfois montré une souplesse de conjoncture avant de se raidir dans ses retranchements. Céder le pouvoir au sens large du terme est un cauchemar pour les islamistes tunisiens. Et pour ne pas avoir à subir cette situation, il donne l’impression, selon de nombreux observateurs, de laisser s’exprimer une pulsion autoritaire qui rappellerait les sombres années Ben Ali.

Parallèlement à cette tentation se développe au sein de la société tunisienne une radicalisation de certains groupes. La Tunisie avait déjà frappé les imaginations avec le nombre impressionnant de militants jihadistes qu’elle exporte vers le conflit syrien. Elle avait déjà enflammé les esprits par la série d’exécutions qui avait frappé sa classe politique. La voilà aujourd’hui victime d’une nouvelle violence terroriste. Récemment elle a été victime du premier attentat suicide visant une zone touristique. Une alerte à prendre très au sérieux car il indique la politique de la terre brûlée que certains sont près à cheminer pour exprimer leur déception et désarroi.

Ce qui rend la situation tunisienne extrêmement inflammable est sa proximité avec la Libye, devenue un gigantesque refuge pour des groupes terroristes, et ses longues frontières incertaines avec une Algérie loin d’être bienveillante à l’égard des pulsions démocratiques de Tunis. Ce qui a poussé le président tunisien Mouncef Marzouk à dénoncer un complot ou se mêleraient les intérêts "des partisans de Ben Ali", "des salafistes", et "des puissances arabes".

La sortie du président tunisien ne vise pas uniquement le voisinage immédiat. Il est opportun de rappeler la vive tension qui avait marqué les relations entre l’Egypte et La Tunisie lorsque, profitant de la tribune des Nations unies, Moncef Marzouki avait dénoncé avec une vigueur très peu diplomatique, le « coup d’Etat » contre le président élu Mohamed Morsi.

Même si cette accusation ne manque pas de pertinence, elle ne doit pas cacher que cette impasse tunisienne signe l’échec politique et économique d’Ennahda et de la mouvance islamiste dans l’exercice du pouvoir. Les islamistes tunisiens pourront toujours arguer que leur tâche leur a été lourdement compliquée par les peurs et les fantasmes artificiellement suscitées ici et la, il n’empêche. Leur incapacité à rassurer la frange laïque de la société tunisienne et à dompter les partisans les plus extrémistes ont fini par signer l’échec de leur gouvernance. Au point que de nombreux politologues tunisiens affirment que si les tunisiens retournent aux urnes aujourd’hui, le mouvement Ennahda aura une maigre part de leur estime. Donc très loin des raz-de-marée électoraux promis aux islamistes à chaque scrutin.

Mais l’expérience tunisienne demeure un laboratoire grandeur nature entre laïcs et islamistes. Sachant que l’Egypte a violemment tranché la question au profit des militaires et du retour de l’ordre autoritaire, l’issue du combat en Tunisie et les formes que prendra un possible compromis ou une éventuelle rupture risque de déteindre fatalement sur d’autres pays en proie aux mêmes démons.

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