La Syrie et les nouvelles fractures moyen-orientales

La guerre civile syrienne entre dans sa troisième année sans qu’une solution politique ne se dessine. Et il n’est pas certain qu’un rééquilibrage militaire au profit de la rébellion armée change totalement la donne.

La Syrie et les nouvelles fractures moyen-orientales
La Syrie est entrée depuis le 15 mars dans l’an III de sa révolution sans qu’aucune solution politique ne se dessine. En deux ans la crise syrienne, qui a fait entre 70.000 et 100.000 morts, a pris une telle ampleur qu’elle pourrait ouvrir de nouvelles fractures au Moyen-Orient. Comme le reste du monde arabe, la Syrie a été secouée par un mouvement de contestation, commencé de façon pacifique en mars 2011 après l’arrestation d’adolescents qui avaient osé écrire des slogans hostiles au président Bachar al-Assad sur les murs de leur école.

Mais, à la différence de Ben Ali en Tunisie et de Moubarak en Egypte, qui ont quitté le pouvoir, Bachar al-Assad a, au contraire, décidé de se maintenir en place coûte que coûte et de réprimer avec brutalité toute opposition. Sa stratégie, réplique de celle adoptée par son père, Hafez al-Assad, pour écraser la révolte des Frères musulmans en 1982 à Hama, a eu l’effet inverse : créer les conditions de l’émergence d’une opposition armée dont une grande partie est maintenant réunie dans l’Armée syrienne libre.

Aujourd’hui, la guerre civile en Syrie représente une inquiétante menace de déstabilisation d’une région déjà fragile. Après la guerre d’Irak – qui avait, selon l’expression de Karim Emile Bitar, chercheur à l’Iris (Institut des relations internationales et stratégiques), rouvert la boîte de Pandore des rivalités ethniques et communautaires -, la crise syrienne a porté ces tensions à un nouveau paroxysme. D’un côté, on retrouve, la minorité alaouite – une branche du chiisme, d’où est issu Bachar al-Assad -, soutenue prudemment par les chrétiens et les kurdes. De l’autre, une « majorité » sunnite. Pour compliquer encore la carte communautaire, la Syrie accueille des réfugiés palestiniens, installés notamment à proximité de la capitale dans des camps et qui font désormais les frais de la répression du régime.

Mais la crise n’est pas confinée au seul territoire syrien. L’ampleur de la répression de Bachar al-Assad, qui a recours à des bombardements aériens contre sa population, mais aussi les exactions commises par certains éléments de l’opposition armée, ont entraîné une grave crise humanitaire avec le déplacement à l’intérieur de la Syrie d’au moins 2,5 millions de personnes et un exode de plus de 1 million de Syriens dans les pays voisins, selon le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).

Et il ne s’agit pas seulement de la dimension internationale du conflit. Loin de là. La crise syrienne est en train de dériver en affrontement par procuration entre, d’un côté, la Russie et l’Iran chiite – qui continuent de fournir des armes au régime de Bachar al-Assad – et, de l’autre, les pays du Golfe, Qatar notamment et Arabie saoudite – qui aident des éléments de la rébellion armée. Une situation d’autant plus dangereuse que l’Irak après le départ des troupes américaines, a toujours du mal à trouver un équilibre entre communautés chiite, majoritaire, et sunnite. Bagdad est même suspecté de laisser passer des avions depuis l’Iran transportant des cargaisons d’armes pour Bachar al-Assad. Comme si un axe chiite – Téhéran, Bagdad et Hezbollah libanais soutenant la communauté alaouite syrienne – était en train de se former face aux pays sunnites du Golfe, à l’Egypte et à la Turquie. Avec tous les risques que cela peut comporter, notamment pour un pays comme le Liban, où le gouvernement, soumis à des tensions maximales entre pro et anti-Bachar, vient de tomber. Militairement, le théâtre des opérations a, à plusieurs reprises, également débordé des frontières syriennes, par des raids de l’aviation en Turquie, qui a reçu un soutien de ses alliés de l’Otan avec le déploiement de missiles-antimissiles Patriot, mais aussi la multiplication d’incidents de frontière avec Israël ou avec le Liban.

Diplomatiquement, les fractures sont une lointaine réminiscence de la guerre froide avec la Russie, soutenue par la Chine et par d’autres pays émergents, s’opposant aux pays occidentaux – Etats-Unis, France, Royaume-Uni en tête – pour faire échouer notamment toute résolution au Conseil de sécurité des Nations unies qui pourrait mettre en cause le régime installé à Damas en 1970 avec l’appui de l’URSS.

Plus de deux ans après le début de la crise, il est difficile d’entrevoir une solution rapide. L’opposition semble même plus désunie que jamais, après la démission de Moaz al-Khatib, le président de la Coalition nationale de l’opposition et la désignation de Ghassan Hitto, un homme d’affaires venu du Texas, comme Premier ministre d’un gouvernement provisoire.

Pour sortir de l’impasse, des pays comme la France et le Royaume-Uni défendent l’idée de lever l’embargo pour livrer des matériels militaires à l’opposition armée, notamment des missiles sol-air, pour protéger la population. Une idée qui se heurte à l’opposition de pays comme l’Allemagne, qui redoutent que ces armes tombent dans de mauvaises mains, mais aussi aux réticences américaines. De plus, il n’est pas certain que l’arrivée de nouvelles armes aux mains de la rébellion, qui contrôle une partie du pays, change fondamentalement la donne sur le terrain face à la détermination des fidèles de Bachar. Dans cet « orient compliqué », la solution – une nouvelle fois – passe par l’intervention de puissances extérieures, au moins indirectement. Comme ce fut le cas en Irak après la première guerre du Golfe, Américains et Européens devraient au moins appliquer une zone d’interdiction aérienne pour protéger les populations dans les zones contrôlées par l’opposition. Mais le président Obama le veut-il ? Ce n’est pas sûr.

Jacques Hubert-Rodier, Editorialiste aux « Echos »

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