L’intégrale de l’entretien avec Nicolas Sarkozy par le quotidien espagnol ABC

Attendu lundi à Madrid, trois jours après la dégradation de neuf pays, dont la France et l’Espagne, par l’agence Standard & Poor’s, Nicolas Sarkozy espère dans un entretien au quotidien espagnol « ABC » que les « derniers développements n’ajouteront pas aux difficultés » de la zone euro.

Voici l’intégralité de l’entretien du Président Nicolas Sarkozy avec le quotidien espagnol ABC:

QUESTION — Sa Majesté Juan Carlos va vous remettre l’Ordre de la Toison d’Or, créée par le Duc de Bourgogne en 1430, et vous recevrez le même collier que porta en son temps le Président Gaston Doumergue. Que représentent ces symboles pour vous ?

LE PRESIDENT —
Je mesure la portée exceptionnelle de ce geste et l’honneur immense qui m’est fait, puisqu’aucun de mes prédécesseurs n’avait été ainsi distingué depuis Gaston Doumergue et Raymond Poincaré au début du siècle précédent.

J’y suis d’autant plus sensible que je recevrai cette prestigieuse distinction des mains du roi Juan Carlos, qui est un grand souverain, un sage d’Europe et un homme pour qui — vous le savez — j’ai depuis longtemps une très grande estime et même une profonde amitié.

Ce geste salue l’engagement de la France aux côtés du peuple espagnol dans sa lutte contre le terrorisme de l’ETA. Et je veux vous dire combien la France est fière d’avoir contribué activement aux succès remarquables qui ont été obtenus au cours de ces dernières années dans la lutte contre ce fléau.

Cette cérémonie sera ainsi l’occasion de célébrer une nouvelle fois l’amitié profonde et indéfectible qui unit nos deux pays et nos deux peuples.


QUESTION —
Quel bilan faites-vous de la coopération anti-terroriste entre la France et l’Espagne? Peut-on croire à la fin du terrorisme basque?

LE PRESIDENT —
Depuis dix ans, la coopération de nos deux pays dans la lutte contre le terrorisme est exemplaire et a permis d’obtenir des résultats sans précédents. Et je veux saluer ici l’engagement du Président Zapatero et son gouvernement, avec qui nous avons travaillé sans relâche.

L’annonce par l’ETA, en octobre, de l’arrêt de son action armée après 43 ans de violences marque-t-elle la fin définitive du terrorisme basque ? Je veux le croire. C’est en tout cas mon souhait le plus cher pour le peuple espagnol qui a tant souffert de tant de violence aveugle et inutile.

Je veux confirmer solennellement l’engagement de la France à poursuivre, à vos côtés, le combat contre la barbarie terroriste. Jamais nous ne baisserons la garde. Nous le devons à toutes les victimes innocentes, à qui je veux ici rendre hommage.

Cette coopération exemplaire, nous devons l’étendre davantage pour lutter contre le terrorisme international et contre le crime organisé, notamment le trafic de drogue et d’êtres humains.

QUESTION — Quel regard portez-vous sur l’évolution des relations bilatérales de la France et l’Espagne? Qu’est-ce qui pourrait changer après l’élection présidentielle du mois de mai ?

LE PRESIDENT — Les relations entre nos deux pays n’ont cessé de se renforcer au cours des dernières années et ont atteint une intensité exceptionnelle. Je crois même pouvoir dire que jamais dans l’histoire elles n’ont été aussi fortes.

Je pense bien sûr à notre coopération très étroite dans la lutte contre le terrorisme, que je viens d’évoquer.

Je pense également à tout ce que nous faisons sur les interconnexions transpyrénéennes, qu’il s’agisse des lignes ferroviaires à grande vitesse du côté méditerranée comme du côté atlantique, de la ligne à très haute tension entre Perpignan et Figueras, du doublement des capacités de nos gazoducs, ou encore des autoroutes de la mer qui commencent à relier nos ports de l’Atlantique.

Je pense aussi à nos relations commerciales, qui continuent de se développer et qui font que nous sommes aujourd’hui, l’un pour l’autre, parmi les tous premiers partenaires. L’appartenance commune au marché unique européen a été profitable pour nos deux pays.

Je pense à l’action commune que nos deux pays mènent côte-à-côte au service d’une Europe plus forte et plus unie car c’est ensemble que nous surmonterons la crise que traverse actuellement la zone euro.

Je n’oublie pas non plus notre engagement sur la scène internationale, et en particulier l’action déterminante que nous avons menée au sein du G20 pour que le monde sache tirer les leçons de la crise et construise un capitalisme régulé.

Cette amitié entre la France et l’Espagne repose sur le respect d’une longue histoire commune et l’analyse lucide des nécessités du monde actuel. Je suis convaincu que ceux à qui nos peuples confient les plus hautes responsabilités dans nos deux pays à l’avenir auront à cœur de préserver cet acquis et de le faire vivre.

QUESTION — Comment pourrait-on renforcer la coopération franco-espagnole sur la scène européenne?

LE PRESIDENT — Elle est déjà excellente. L’Espagne est un grand pays d’Europe et c’est, pour la France, un partenaire de tout premier ordre.

Sur l’ensemble des sujets européens, notre dialogue est permanent et notre concertation, étroite. Je pense notamment à tout ce qui concerne les difficultés actuelles de la zone euro.

Je veux saluer les mesures extrêmement courageuses prises par l’Espagne pour faire face à la crise et tenir ses engagements européens. Les premières décisions du nouveau Gouvernement illustrent la détermination de Mariano Rajoy à prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer le redressement de l’économie espagnole. C’est très important pour la France et pour l’Europe. Il peut compter sur mon complet soutien.

Je veux d’ailleurs rendre hommage à la sagesse du peuple espagnol, qui comprend ces décisions difficiles et les accepte avec calme et de lucidité.

Avec Mariano Rajoy, que je connais bien et pour qui j’ai beaucoup d’estime, je sais que nous pourrons continuer à approfondir la coopération absolument nécessaire entre nos deux pays sur tous ces sujets.


QUESTION —
Quand peut-on prévoir la sortie de crise pour la zone euro?

LE PRESIDENT — Personne ne peut le prédire avec certitude. Ce que je sais, en revanche, c’est nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour en sortir le plus vite possible.

En quelques mois seulement, nous avons transformé en profondeur l’Europe et la zone euro.

Nous mettons en place le véritable gouvernement économique dont l’Europe et la zone euro avaient tant besoin. Imaginez que jusqu’au sommet de l’Elysée en octobre 2008, jamais les chefs d’Etat et de gouvernement de la zone euro ne s’étaient réunis. Désormais, le pilotage économique de la zone euro sera assuré par des réunions régulières des chefs d’Etat et de gouvernement afin de réaliser effectivement la convergence économique de nos pays, qui est indispensable dans le cadre d’une union monétaire.

Nous rendons plus efficace la discipline budgétaire au sein de la zone euro en prévoyant que chaque pays devra se doter d’une règle d’or définie en commun. La discipline budgétaire est indispensable, car lorsqu’on partage la même monnaie, les dérives des uns ont des répercussions chez les autres. Mais elle ne peut pas s’imposer uniquement au niveau européen : il faut que cet objectif soit intégré par chacun pour prévenir autant que possible les dérapages. Ceux qui, malgré cela, ne respecteraient pas la règle de 3 % de déficit se verront sanctionner de manière beaucoup plus automatique.

Enfin, nous renforçons la solidarité au sein de la zone euro. Avec le Mécanisme Européen de Stabilité, nous sommes en train de mettre en place un véritable Fonds monétaire européen qui, doté d’un capital propre et d’une capacité totale de 500 Mds €, sera véritable bouclier financier pour défendre la zone euro.

C’est une véritable refondation de la zone euro qui est en cours, qui permettra de tirer toutes les conséquences de la crise que nous connaissons aujourd’hui. Afin que plus jamais les mêmes causes ne produisent les mêmes effets.

Toutes ces décisions ont permis de stabiliser les marchés à la fin du mois de décembre et au début du mois de janvier. J’espère que les derniers développements n’ajouteront pas aux difficultés.

Plus que jamais, il est nécessaire que nous fassions preuve de courage et d’audace. Cela vaut pour tous les Etats-membres de la zone euro qui ont engagé les réformes nécessaires. Cela vaut également pour toutes les institutions européennes, qui doivent plus que jamais se mobiliser pour sauvegarder l’euro.

QUESTION — S’il n’y a pas un accord à 17 sur la taxe sur les transactions financières, est-ce que la France ira de l’avant seule?

LE PRESIDENT — La question de la taxe sur les transactions financières est absolument fondamentale pour la France, car il est normal — je dirais même moral — que ceux qui ont contribué à plonger le monde dans la crise, participent au redressement de l’économie mondiale.

C’est la raison pour laquelle la France a fait de la taxe sur les transactions financières une priorité de son action, tant sur la scène internationale — en la mettant au cœur de sa présidence du G20 et du G8 en 2011 –, que sur la scène européenne. Nous progressons d’ailleurs, puisque la Commission européenne a élaboré et présenté un projet de directive qui met en œuvre cette taxe.

La question aujourd’hui, c’est : comment avancer, sortir du blocage actuel, passer de la parole aux actes ? Et de ce point de vue, je sais que si nous attendons que les autres se décident, il ne se passera jamais rien. Si nous voulons que ça se fasse, nous devons montrer l’exemple.

Voilà pourquoi la France est prête à montrer le chemin et à aller de l’avant avec ceux qui le veulent. Comment ? Tout simplement en appliquant dès maintenant la taxe sur les transactions financières. C’est techniquement possible : alors pourquoi attendre que tout le monde soit d’accord avant d’agir si l’on croit qu’il est juste et nécessaire d’agir ?

Je suis convaincu que cela entrainera un mouvement d’abord au sein de la zone euro ; puis une fois que la zone euro s’en sera dotée, partout ailleurs, parce que les opinions publiques dans le monde entier diront à leurs dirigeants : « Pourquoi ce qui est possible chez eux ne le seraient pas chez nous ? Pourquoi la finance pourrait-elle être taxée dans la zone euro et pas dans nos pays ?».

La situation n’est d’ailleurs pas figée : regardez l’évolution de pays comme l’Allemagne et l’Italie… Je suis convaincu que c’est allant de l’avant que l’on fera bouger les lignes.

QUESTION — Lors de votre dernière réunion avec Mme Merkel, vous avez fait mention de la nécessité de mettre l’accent sur la croissance et la création d’emploi. Est-ce que vous allez faire de propositions dans ce sens dans le prochain traité intergouvernemental ?

LE PRESIDENT —
Chacun doit comprendre que, pour sortir l’Europe de la crise, nous devons — en plus des mesures indispensables de réduction des déficits, que nous avons déjà prises — donner la priorité à la croissance, à l’emploi et à la compétitivité.

A Berlin la semaine dernière, nous avons dit, avec Angela Merkel, que nous allions prendre des initiatives en ce sens et qu’avec nos partenaires européens, au premier rang desquels l’Espagne, nous voulions prendre des décisions dans des domaines absolument clés pour la croissance et l’emploi. Je pense en particulier à la formation des chômeurs ; à l’utilisation des fonds européens, qui doivent être mis au service de la croissance et de la compétitivité ; ou encore à la nécessaire convergence fiscale.

Le Conseil européen du 30 janvier devra nous permettre d’unir nos efforts au service de la croissance et de l’emploi.

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