L’iPad, une nouvelle chance pour le livre ?

Sur le marché encore balbutiant des « liseuses », ces machines informatiques dédiées à la lecture de livres numériques, c’était jusqu’à présent le Kindle du cybermarchand Amazon, sorti il y a tout juste deux ans, qui tenait le haut du pavé. Mais l’iPad, cette sorte d’iPhone géant qu’Apple a présenté le 27 janvier, menace de le ranger au rayon des antiquités.

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Vu le caractère stratégique de ces engins pour les deux groupes américains, cela augure d’un affrontement majeur. En ligne de mire, les acteurs du livre – auteurs, éditeurs, libraires et distributeurs -, qui pèsent peu par rapport à ces mastodontes, feront-ils face ou sombreront-ils comme ceux de la musique ?

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Pour Amazon, premier distributeur de livres (physiques et numériques) sur la Toile, l’arrivée d’Apple sur son marché constitue un casus belli. Avec son importante autonomie et sa technologie d’"encre électronique", le Kindle gardera des inconditionnels. Mais son design n’est pas de taille à rivaliser avec celui de l’iPad. S’il tient ses promesses, ce dernier – commercialisé fin mars – proposera toutes les fonctionnalités qui ont fait le succès de l’iPhone : l’écran tactile et en couleur, le magasin d’applications et la facilité d’utilisation.

Le 27 janvier, le patron d’Apple, Steve Jobs, a pris une longueur d’avance en annonçant avoir signé un accord historique avec cinq des six plus grands éditeurs généralistes de la planète : Penguin (Pearson), Simon & Schuster (CBS), HarperCollins (Newscorp), McMillan (Holtzbrinck) et Hachette Book Group (Lagardère). Ce faisant, il pourra alimenter l’iPad avec sa propre bibliothèque de livres numérisés, iBooks. Des "grands", seul manque Random House (Bertelsmann), mais l’éditeur de Dan Brown a choisi Amazon, lui confiant, le 15 septembre 2009, le lancement des versions physiques et numériques de son nouveau best-seller, The Lost Symbol (Le Symbole perdu, éd. JC Lattès).

La bataille promet d’être d’autant plus rude que, pour Apple et Amazon, les liseuses ne sont pas des gadgets" accessoires. Commercialiser son propre terminal de lecture permet à Amazon de contrôler toute la chaîne de distribution des livres numériques et d’imposer plus facilement ses prix. Quant au fabricant des Macintosh, devenu, en dix ans, un géant de la téléphonie, avec l’iPhone, et de la musique, avec l’iPod, il est en quête d’un support de distribution universel pour l’ensemble des loisirs numériques : la musique, les jeux, les films, et aussi les livres.

L’autre géant du Net, Google, pourrait aussi jouer les trouble-fête. Il a déjà numérisé plus de 10 millions d’ouvrages. Son but ? Améliorer son moteur de recherche, qui est d’autant plus pertinent qu’il indexe davantage de contenus. Officiellement pour l’instant, Google n’a pas de projet de "liseuse". Mais pourquoi pas, un jour ? Après tout, ne vient-il pas de se lancer dans la commercialisation d’un téléphone à sa marque, le Nexus One ?

Dans ce paysage mouvant, les acteurs traditionnels de l’édition sauront-ils s’adapter ? Pour l’heure, "l’arrivée de l’iPad est une bonne nouvelle", juge Arnaud Nourry, le patron d’Hachette. L’arrivée d’un troisième acteur apparemment mieux disposé à leur égard pourrait desserrer l’étau qui pèse actuellement sur la filière "livres". Elle est en effet coincée entre d’un côté Amazon qui, aux Etats-Unis, impose sur son Kindle des prix au rabais pour les best-sellers : 9,99 dollars contre 22 dollars en version papier. En France, les éditeurs conservent encore jalousement leurs catalogues de livres numérisés pour eux ,mais ne savent pas s’ils pourront résister longtemps à la pression du géant américain ou au piratage. Et il y a Google, de l’autre côté, qui numérise les fonds de catalogue sans l’accord des éditeurs.

Attention, cependant ! D’abord, Apple reste très discret sur les conditions tarifaires qu’il propose aux éditeurs. Et le groupe informatique est en pleine opération de séduction : il a énormément besoin de la musique, des jeux et des livres pour valoriser sa "tablette magique". Mais ce qu’il cherche avant tout, ce n’est pas à vendre ces contenus pour eux-mêmes, mais à écouler le plus possible d’iPads : Apple reste avant tout un vendeur de matériel.

Et, pour les acteurs du livre, un problème considérable demeure : que ce soit avec Amazon, Google ou Apple, ils ne contrôleront plus la distribution de leurs contenus numérisés. Dès lors, comment fixer eux-mêmes leurs prix ? A moins d’une loi – en France, l’extension du prix unique du livre aux ouvrages numérisés -, ils resteront inféodés à des mastodontes aux intérêts divergents des leurs.

A cet égard, l’exemple de l’iPhone est très éclairant. Quand une bande dessinée numérisée est achetée sur le magasin d’applications du téléphone, 30 % du prix va automatiquement dans les caisses d’Apple. Le prestataire technique, qui a numérisé l’ouvrage, prend 35 % au passage. Reste 35 % pour l’éditeur, sachant qu’il doit avec cela financer ses frais de fonctionnement, les auteurs, le marketing et la publicité des ouvrages. Et encore, si c’était 35 % de 13 euros, le prix moyen d’une BD cartonnée… Mais c’est 35 % de 4,99 euros, celui d’une BD numérisée : une misère !

Source:LE MONDE

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