L’humoriste franco-marocaine Sophia Aram, menacée par l’extrême droite, sous protection policière


Le Pen bat en retraite par franceinter

Vous êtes l’objet de menaces. Que se passe-t-il exactement ?

J’ai reçu beaucoup d’insultes – et de premières menaces –, après une chronique sur Jean-Marie Le Pen, en janvier 2011. C’était principalement des messages du genre : « on va t’enfoncer des saucisses dans le c… ». Eh oui, ces gens-là ont un rapport très étrange à l’analité ! – et à l’orthographe, si l’on en juge à leurs nombreuses fautes… Au départ, je n’ai pas pris tout cela très au sérieux, mais lorsque les menaces se sont faites plus précises, on a un peu renforcé la sécurité à l’entrée de mes spectacles. Je ne m’attendais pas à ces réactions. Pendant ma chronique, le micro de Jean-Marie Le Pen était ouvert, comme chaque fois, il aurait donc pu intervenir mais il n’a pas réagi [NDLR : pour mémoire, Stéphane Guillon faisait ses chroniques une heure plus tôt, avant que l’invité soit en studio].

Quand la situation s’est-elle aggravée ?

En mars, après un autre billet sur le Front national. Les réactions ont été plus vives. Le FN a publié un communiqué sur son site et la chronique a été reprise sur le blog de Morandini. Tout s’est emballé. France Inter a été assailli de messages, et a reçu des menaces plus précises… La direction de Radio France et la police m’ont conseillé de porter plainte, ce que j’ai fait. Ceci dit, ça m’a permis de rencontrer des policiers très sympas ! En tournée, mes affiches ont commencé à être arrachées – elles le sont encore – et on a dû renforcer la sécurité. En octobre dernier, j’ai joué dans une petite commune près d’Annecy, Saint-Genis-Pouilly ; en plein milieu du spectacle, le compteur EDF a été ouvert et des fusibles arrachés. On s’est retrouvés dans le noir. Cela étant, si les insultes et les menaces sont clairement des réactions à mes propos sur le Front, il n’est pas possible de connaître les motivations exactes de ceux qui ont fait ça.

Sur le Net, les attaques continuent… L’une des dernières en date, fin novembre, était titrée : « La juive Sophia Aram veut se faire passer pour une fille d’immigrés »…

Oui, celle-là sortait de l’ordinaire et sur le coup j’ai beaucoup ri. L’auteur de ce blog assurait aussi que 99% des personnels d’Inter sont juifs ! On nage en plein irrationnel, c’est surprenant. Dès mes premières chroniques, des commentaires anonymes ont parlé de la « juiverie ». Vous comprenez, Aram, on ne sait pas trop d’où ça vient. Et comme j’ai déjà eu l’occasion de réagir à des propos antisémites…

Je suis une fille d’immigrés marocains. Je n’ai jamais connu le racisme. J’ai grandi en banlieue, j’ai eu une enfance et une adolescence sans histoire. J’ai fait des études – langues orientales – puis du théâtre à partir de mes 17 ans. Je suis de culture musulmane, mais je suis complètement athée. Je suis attachée à la laïcité. Je serais même favorable à ce qu’on instaure une fête nationale le 9 décembre, jour anniversaire de la loi sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Je n’ai pas du tout l’esprit communautaire. Je me sens avant tout française.

Votre spectacle, Crise de foi, brocarde les religions… Vous avez reçu des menaces de milieux intégristes ?

Mis à part quelques insultes côté ultra catholique, il n’y a pas eu de réactions de ce type. Même si je pense que la religion est un très bon sujet comique, je ne cherche pas à provoquer les intégristes de tous poils et de toutes barbes. Il n’y a aucun symbole religieux dans le spectacle ; les symboles, je les laisse aux croyants. Je revendique juste le droit de ne pas croire et de me moquer de toutes ces histoires à dormir debout. Et puis, soyons clairs : on n’est pas en Iran, ce n’est pas un acte de bravoure que je fais là. Si, en France, on ne s’empare pas de cette liberté, on va finir par la perdre.

Les attaques qui vous visent viennent donc de l’extrême droite ?

Pour ce qui est des insultes et des menaces, c’est très majoritairement le cas. Mais ce qui m’a le plus surprise à cette période, ce sont des réactions de personnes, ou de supports, n’ayant a priori rien à voir avec l’extrême droite. Marianne2, par exemple, à travers des papiers de Philippe Bilger, l’ex-avocat général mégalomane… Le Figaro, toujours prêt à déculpabiliser l’électorat frontiste, qui m’a accusée de vouloir faire gagner 12 % au Front national – pas moins. Ou même Guy Carlier, sur Europe 1, qui m’a traitée de « petite conne ».

Son « petite conne » était censé répondre à cette fameuse chronique du mois de mars, où vous faisiez un parallèle entre les électeurs FN et des gros cons…

J’ai déjà eu l’occasion de m’en expliquer : je n’ai jamais traité les électeurs FN de gros cons ! J’ai dit que j’avais du mal à faire la différence entre une personne qui pense que tous ses problèmes sont liés à la présence d’immigrés en France, et des gros cons.

Aujourd’hui, vous acceptez de parler de toutes ces menaces. Pourquoi ne pas l’avoir fait plus tôt ?

Je ne l’avais jamais caché mais je n’en avais pas spécialement parlé non plus. Je m’étais contentée de refuser les interviews que l’on me proposait sur ce thème. Cette fois, quand vous m’avez sollicitée, j’ai décidé de vous répondre. J’ai compris que toutes les mises au point que je pourrais faire n’empêcheraient pas les insultes et les menaces de proliférer… Et puis nous allons entrer dans une période électorale : il faut que les électeurs sachent quelles sont les méthodes utilisées par une partie des supporters du Front national. Et quels sont les arguments de ceux qui plaident pour une banalisation du FN.

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