L’énigmatique « Abderrezak El Para », l’absent-très présent du procès d’Alger

Dix ans ! Dix ans après l’enlèvement dans le Sahara algérien d’un groupe de 32 touristes étrangers, parmi lesquels plusieurs allemands et suisses, le tribunal d’Alger a condamné à vingt ans de réclusion criminelle ce 12 novembre quatre hommes accusés d’avoir participé à ce rapt dont l’issue heureuse – et inexpliquée hors le versement d’une rançon par Berlin – fit grand bruit. Selon Alger, les accusés auraient à leur actif d’autres « attentats meurtriers occasionnant la mort de militaires et de civils ». Présents à la barre, tous ont affirmé avoir enlevé en 2003 les touristes européens – première action d’éclat du GSPC, le « successeur » des GIA (Groupes islamiques armés) – « sur ordre d’Amar Saifi », alias “Abderrezak El Para”. Personnage aussi connu qu’énigmatique, El Para n’était, une fois de plus, pas à la barre. Ce que la presse algérienne a relevé. Et pour cause.

Cette non comparution répétée d’El Para – un homme dont on ne compte plus les condamnations par contumace en Algérie alors que les autorités ont annoncé sa mise en détention dès 2004 – résume à elle seule les zones d’ombre qui entourent souvent les affaires de terrorisme dans ce pays. Le rapt des touristes européens, puis leur libération, ne fait pas exception.

Curiosités

Un premier groupe d’otages avait en effet été libéré le 13 mai 2003, trois jours exactement après une visite et des déclarations …musclées à Alger de Josckha Fisher, alors ministre allemand des affaires étrangères, et du chef des services de renseignements allemands. Officiellement, leur libération avait eu lieu après un « bref assaut de l’armée algérienne ». Mais celui-ci ressemblait fort à une mise en scène. A l’issue de cet «assaut», tous les gardiens des otages avaient disparu alors qu’ils ne disposaient d’aucun véhicule. Et en dépit du « feu nourri » entendu et des déclarations officielles d’Alger faisant état de « quatre morts parmi les ravisseurs », les otages n’avaient vu aucun mort en sortant des rochers derrière lesquels ils s’étaient abrités…Ils raconteront par ailleurs notamment que des hélicoptères de l’armée algérienne les survolaient régulièrement à très basse altitude dès leur enlèvement …
Ce ne seront pas les seules curiosités de cette spectaculaire opération d’un GSPC qui, bien que n’étant à l’époque absolument pas implanté dans le Sahara, réussira à subvenir aux besoins de nombreux otages pendant …trois mois dans une zone où il est particulièrement difficile de survivre.

Membre de la garde rapprochée du général Nezzar

Mais revenons à l’essentiel, c’est à dire au « Para » qui est officiellement à l’origine de cette opération. Ancien membre de la garde rapprochée du général Nezzar, ex homme fort et ex ministre de la défense d’Alger, il a été formé dans une unité d’élites de l’armée algérienne avant de faire un stage de trois ans à Fort Bragg, le centre d’entraînement des bérets verts américains. Ce « profil » lui promettait une brillante carrière : Amar Saifi désertera néanmoins en 1997 pour devenir « l’émir du GSPC de l’Est » en 1999.
L’affaire des otages du Sahara réglée, on n’entendra plus parler de lui. Jusqu’à ce qu’on apprenne le 18 mars 2004 qu’il a été fait prisonnier, avec ses hommes, par un groupe de rebelles tchadiens, le MDJT, qui aura d’ailleurs beaucoup de mal à s’en débarrasser. «Personne ne semblait avoir envie de venir le chercher », risquera même Brahim Tchouma, l’un des dirigeants du MDJT. Après moult tractations entre le Tchad et la Libye, le Para sera finalement remis par les services libyens à l’Algérie fin octobre 2004. Alger annoncera alors avec emphase l’avoir mis en prison.
Un an plus tard pourtant, il sera condamné à la réclusion à vie par contumace à Alger après que le tribunal criminel l’ait déclaré « en fuite ». Interrogé sur les raisons de son absence à la barre et sur le lieu où il se trouvait, le ministre algérien de l’intérieur de l’époque Yazid Zehrouni, répondra : « Je n’en sais rien mais il se trouve en sécurité » ! Jusqu’à 2010, la presse annoncera encore trois fois son procès par contumace après qu’en novembre 2009, le procureur général près la cour d’Alger ait assuré qu’il « ne se trouvait dans aucune prison » d’Alger.

« Nous ne le réclamons plus »

Aujourd’hui, sa énième absence au tribunal où ses quatre « complices » ont été condamnés, repose la même question. L’impossibilité de faire apparaître publiquement El Para s’explique-t-elle par la volonté du DRS, les services secrets algériens, de « couvrir » l’un de ses agents au sein du GSPC – qui a entre temps cédé la place à AQMI? La question mérite d’être posée. D’autant que cette absence jamais éclaircie se double d’une autre singularité : en dépit de ses liens présumés avec AQMI, ni les Américains, ni les Français, ni les Britanniques, ni même les Allemands, ne semblent avoir demandé à interroger El Para! Mieux : en janvier 2007, le secrétaire d’État allemand à la Sécurité, August Hanning déclarait – alors que le tribunal de Karlsruhe avait émis un mandat d’arrêt international contre El Para – : «Nous ne le réclamons plus. D’après mes informations, il est entre les mains des autorités algériennes. Il est jugé et condamné pour des actes qu’il a commis en Algérie» (l’enlèvement des touristes allemands, ndlr !). Or El Para n’a jamais été jugé pour ce fameux enlèvement avant la comparution de ses quatre « complices » en ce mois de novembre 2013… Et il s’est aujourd’hui littéralement volatilisé, même si la presse algérienne a annoncé régulièrement son procès …et son report ! Autant dire que les récentes condamnations annoncées par Alger posent plus de questions qu’elles n’en résolvent.

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