L’économie algérienne minée par le déclin de la rente d’hydrocarbures et le recours à la planche à billets

La situation économique de l’Algérie durant l’année 2017 est, à bien des égards, préoccupante, tant le terrain économique du pays est miné par le déclin de la rente d’hydrocarbures, la désindustrialisation, le recours excessif aux importations et à la planche à billets pour financer la crise, outre un boum démographique sans précédant.

Faute de stratégie anticrise consensuelle sur laquelle doit se baser l’action gouvernementale, le gouvernement d’Ahmed Ouyahia n’a finalement pour moyens de gouvernance économique et sociale que la loi de finances annuelle qui ne pourra malheureusement pas lui offrir les moyens requis pour la mise œuvre des réformes systémiques qui s’imposent en période de forte crise de liquidités.

Force est de souligner que dans un pays où la construction d’une économie de marché s’éternise et où les recettes d’hydrocarbures continuent à financer l’essentiel des besoins économiques et sociaux de la population, les Algériens ont réellement de quoi "avoir peur", notamment lorsqu’on sait que les réserves de change du pays constituées à la faveur des prix forts des hydrocarbures ne dureront, au train où vont les choses, qu’au maximum deux années.

De l’avis même du ministre algérien des Finances, Abderrahmane Raouya, l’érosion des réserves de change en Algérie se poursuit encore et pourraient reculer à 97 milliards de dollars à fin décembre 2017, alors qu’elles étaient évaluées à 105,8 milliards de dollars à fin juillet dernier. Une situation de cul de sac confirmée par un rapport du Fonds Monétaire International, qui révèle que les réserves de change du pays sont passées de 194 milliards de dollars en 2013 à 178 milliards en 2014 pour finir l’année 2015 avec 143 milliards.

Le responsable algérien a de même indiqué que le Trésor public a cumulé un déficit de l’ordre de 8800 milliards de dinars (euro=135 dinars) au cours des trois derniers exercices échus, soit de 2014 à 2016, révélant ainsi l’ampleur de la frénésie dépensière qui a conduit l’Etat à recourir désormais à d’autres modes de financement pour faire face à la crise. Quant au déficit de la balance des paiements, il s’est établi à 11,06 milliards de dollars au 1er semestre 2017, contre un déficit de 14,61 milliards de dollars au même semestre de 2016.

Des indicateurs "alarmants" qui ont fait que l’Algérie a dégringolé au classement Doing business 2018 de la Banque mondiale, en se positionnant au 166e rang sur 190 pays, soit un recul de 10 places par rapport au classement de 2016. Selon ce classement, l’Algérie devance quatre pays en guerre : l’Irak (168e), la Syrie (174e), la Libye (185e) et le Yémen (186e).

La situation économique de l’Algérie est encore plus critique lorsque l’on sait que les exportations d’hydrocarbures représentent 98% des recettes totales du pays en devises et que la fiscalité pétrolière est prélevée sur ces recettes d’exportation et a représenté les trois quarts des recettes budgétaires en 2007.

"Au lieu de faire de cette manne pétrolière une épargne pour des investissements menant à une économie productive au bénéfice des générations futures, elle a été utilisée en grande partie pour financer le budget de fonctionnement, contrairement à la politique suivie dans les années 1970, où la fiscalité ordinaire couvrait la totalité des dépenses de fonctionnement", déplore à ce propos l’ancien Premier ministre algérien, Ahmed Benbitour.

Chose plus inquiétante, selon lui, est la baisse de la production d’hydrocarbures depuis 2006, alors que la demande interne pour ces produits était en augmentation. Ce qui fait que le volume des exportations d’hydrocarbures a baissé de 25,6% entre 2006 et 2011 et continue de baisser depuis, note-t-il. Face à cela, la facture des importations est passée de 12 milliards de dollars en 2001 à 68 milliards de dollars en 2014, a précisé Benbitour qui a expliqué avoir pris la décision de démissionner en tant que chef de gouvernement (1999-2000) "parce que j’ai pris conscience, assez tôt, que la solution ne peut se situer au niveau du choix des personnes, lorsque tout le système de gouvernance est défaillant".

Pour faire face à cette situation délicate, le gouvernement Ouyahia croit avoir trouvé la solution magique, celle de recourir à la planche à billets, contre l’avis de la grande majorité des experts. Or, tout le monde le sait, et les exemples sont légion, qu’un tel choix entraînera le pays dans une spirale dangereuse et mènera inéluctablement à l’explosion des prix, à une dévaluation incontrôlable du dinar et à une inflation galopante.

De toutes ces mises en garde, le pouvoir algérien n’a rien voulu entendre, ce qui a amené les experts économiques et l’opposition à pointer du doigt un gouvernement qui pâtit d’un manque de légitimité et de l’absence de confiance de la part du citoyen, qui, dans une situation de vacance du pouvoir au sommet et avec la complicité d’un Parlement, se permet de disposer de la planche à billets de l’Etat algérien, sans limite et sans contrôle, pour couvrir l’échec économique du pouvoir en place, continuer à entretenir ses clientèles et à acheter la paix civile pour garantir la traversée du chemin qui reste à parcourir avant la Présidentielle de 2019.

Le seul recours à la planche à billets, qui reste la mesure phare du plan d’action du gouvernement algérien présenté en septembre dernier par le Premier ministre Ahmed Ouyahia devant le Parlement, est en soi un terrible aveu d’un échec imputable non pas à l’exécutif, mais à tout un système de gouvernance archaïque moulé sur le modèle des régimes totalitaires lequel ne laisse pas beaucoup d’espace pour l’expression du génie du peuple, soulignent ces observateurs.

Ils estiment à cet égard que si le gouvernement a, réellement, l’intention de faire le nécessaire pour sortir le pays de ce bourbier, sa démarche doit être inéluctablement axée sur une ouverture à la société et sur l’énorme potentiel qu’elle recèle. Et de faire constater que les conditions pour la refondation d’une Algérie économiquement forte et politiquement solide où le pouvoir politique est l’émanation de la volonté populaire étaient pourtant, de par un heureux concours de circonstances, largement réunies avec, notamment, l’envolée des cours du pétrole, au début des années 2000. Mais près de vingt ans après, il faut se rendre à l’évidence que cette énorme manne n’a, finalement, pas été d’un grand apport pour une économie restée totalement otage de la rente pétrolière, déplorent-ils.

Ahmed Benbitour dira à ce propos que la solution aux nombreux problèmes politiques, économiques et sociaux dont pâtit actuellement l’Algérie passe inévitablement par le changement de tout le système de gouvernance du pays. Aussi bien l’environnement international, la situation régionale et les multiples crises internes appellent à un autre profil de gouvernants capables d’innover et de faire face à la situation complexe que vit le pays, surtout après le tarissement de la rente pétrolière, note-t-il.

Les experts font également constater qu’au-delà de 2019, l’économie algérienne se retrouvera avec une très forte inflation comme suite aux pénuries importantes des produits en conséquence du déficit non finançable de la balance commerciale, ainsi que du financement monétaire, du déficit structurel du Budget de l’Etat par la création monétaire de la planche à billets couplée au glissement de la parité du dinar.

C’est donc un fait que la situation économique en Algérie a atteint une gravité sans précédent. Les gouvernements qui se sont succédé depuis le début de la crise ont prouvé leur incapacité à relever les défis induits par cette situation et à y apporter les réponses et les mesures nécessaires. Ils n’ont jamais arrêté une stratégie sérieuse pour y faire face et se sont attachés à ses aspects comptables en ignorant les réformes structurelles que la crise a rendues davantage indispensables et urgentes.

Par Hamid Aqerrout
(MAP)

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