L’EI prospère au Sinaï malgré l’offensive de l’armée égyptienne

Après deux ans de campagne, l’armée égyptienne n’a pas réussi à déloger le groupe Etat islamique au Sinaï, une péninsule historiquement instable où les jihadistes profitent du relief accidenté et du soutien d’une partie de la population.

L’EI a démontré mercredi sa capacité à agir au grand jour en menant une vague d’attaques sans précédent contre plusieurs positions de l’armée. Elles ont fait 70 morts dans la localité du Cheikh Zouweid dans le nord du Sinaï selon des responsables, tandis que le bilan de l’armée s’établissait à 17 soldats tués et 100 jihadistes abattus.

Cette série d’attentats est la plus spectaculaire depuis le début des attaques ayant fait des centaines de morts parmi les soldats et les policiers depuis la destitution par l’armée du président islamiste Mohamed Morsi en 2013.

"Ils sont inédits à la fois par leur intensité, leur nombre et leur force de frappe", estime Mathieu Guidère, spécialiste français des mouvements jihadistes.

"L’armée égyptienne au Sinaï est dépassée et n’est pas bien préparée à affronter une guérilla islamiste très organisée et bien entraînée", précise-t-il.

Ces derniers mois, les attaques les plus meurtrières au Sinaï ont été revendiquées par le groupe Ansar Beït al-Maqdess, qui a fait allégeance à l’EI en novembre et dont le dirigeant est l’énigmatique chef religieux Abou Oussama al-Masry.

Ce groupe compterait quelque 2.500 combattants dans le Sinaï, "dont une grande majorité sont Egyptiens", selon M. Guidère.

"L’organisation se développe rapidement. L’année dernière elle ne comptait qu’environ un millier de combattants", ajoute le professeur de géopolitique arabe à l’Université de Toulouse. "Il est clair que des combattants égyptiens sont de retour du front syrien et irakien et font bénéficier les autres de leur expérience au combat".

– Défi pour Sissi –

Péninsule d’environ 60.000 km2 entre la Méditerranée et la mer Rouge, le Sinaï a longtemps été un territoire disputé, notamment avec Israël, avant d’être rendu en 1982 à l’Egypte, qui y a développé le tourisme autour de la station balnéaire de Charm el-Cheikh sur la mer Rouge. Une série d’attentats y avaient fait près de 70 morts en juillet 2005.

"L’aliénation politique du Sinaï a été un facteur-clé qui a permis à l’insurrection de grandir, et l’environnement géographique a contribué à galvaniser les mouvements jihadistes", souligne Michael Wahid Hanna, du centre d’études américain The Century Foundation.

Les jihadistes, majoritairement originaires des tribus du Sinaï qui se disent marginalisées et discriminées par Le Caire, tirent en effet profit des reliefs montagneux du Sinaï, qui culmine à 2.642 mètres.

Les groupes armés se procurent des armements notamment sur "les marchés noirs du Soudan, du Tchad et du Niger", selon Mathieu Guidère.

Les mesures adoptées depuis deux ans par l’armée égyptienne sont loin d’avoir mis un terme aux violences.

Après un attentat particulièrement meurtrier en octobre, un état d’urgence et un couvre-feu ont été imposés dans une partie du nord-Sinaï, près de la frontière avec la bande de Gaza palestinienne.

L’armée a aussi entamé la construction d’une zone tampon le long de cette frontière, ce qui a entraîné l’expulsion de plus d’un millier de familles.

De telles mesures, estime Zack Gold, expert au sein du groupe de réflexion American Security Project, "touchent bien plus négativement la population civile que les jihadistes".

Pour M. Hanna, les échecs des autorités face à l’insurrection jettent une ombre sur les promesses du président Abdel Fattah al-Sissi, l’ex-chef de l’armée tombeur de M. Morsi, qui se pose en rempart contre le "terrorisme" et s’est engagé à rétablir la sécurité dans le pays.

"Mais sur le court terme", ces attaques "vont renforcer le soutien populiste en faveur de mesures répressives" dans le nord de la péninsule, prévoit-il.

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