Jihadistes de retour de Syrie: le casse-tête de la surveillance

La centaine de Français rentrés dans l’Hexagone après avoir mené le jihad en Syrie sont surveillés par des services de renseignement qui craignent de perdre la trace de la petite minorité susceptible de basculer dans le terrorisme domestique, expliquent des sources concordantes.

La plupart sont repérés lors du départ et surtout du retour. Certains, toutefois, notamment en gagnant en voiture les confins turco-syriens et en franchissant discrètement les frontières, peuvent échapper à l’écran radar des services antiterroristes, qui dès lors redoutent de mauvaises surprises, ajoutent ces sources.

"La règle est qu’ils ne passent pas inaperçus quand ils reviennent. Ils sont convoqués, interrogés et avertis du fait qu’ils vont être surveillés", précise à l’AFP un spécialiste de la lutte antiterroriste qui demande à ne pas être identifié. "Mais bien sûr nous ne pourrons jamais avoir la certitude de repérer tout le monde. Certains peuvent partir et revenir sans se faire remarquer."

La surveillance, notamment électronique, de certains milieux ou groupes, ainsi que l’aide apportée à la police par de plus en plus de familles inquiètes de la radicalisation de leurs enfants, permet souvent d’intervenir auprès de jeunes lors de leurs préparatifs de départ. Mais, tant qu’ils n’ont commis aucun acte illégal, il est difficile voire impossible de les empêcher de prendre la route de la Turquie.

La proximité de la "terre de jihad" syrienne rend inutiles les "filières" du genre de celles qui s’étaient mises en place pour partir en Afghanistan, en Irak ou en Tchétchénie: il suffit de connaître l’adresse de ce que les policiers appellent des "facilitateurs" ou de simples hôtels dans la zone frontalière.

Des sources proches des services français de renseignement assurent que les services turcs informent leurs homologues européens relativement correctement en ce qui concerne les retours. Les jihadistes occidentaux passent difficilement inaperçus dans la zone frontalière sous étroite surveillance.

– "Jihadisme du clic" –

En revanche ils ont tendance à laisser entrer sans encombres, et sans en référer à Paris, Londres ou Bruxelles, les candidats au jihad en route vers la Syrie. Ceux-ci en effet, aux yeux d’Ankara, apparaissent comme un atout en servant la lutte contre l’armée de Bachar al-Assad, en posant des problèmes aux Kurdes et en justifiant la présence militaire turque dans la région, assure l’une de ces sources.

Confronté à une liste de personnes potentiellement menaçantes (une dizaine sont incarcérées), l’antiterrorisme n’a pas les moyens de les placer toutes sous surveillance permanente et établit des listes par ordre décroissant de dangerosité présumée.

"La surveillance 24 heures sur 24 d’un seul suspect, qui en plus utilise souvent trois ou quatre numéros de téléphone différents, c’est trente flics. Comment voulez-vous faire? Il faut faire des listes de priorités", explique un bon connaisseur du dossier.

Une fois en Syrie, dans les zones tenues par la rébellion qui jouxtent la frontière turque, les apprentis jihadistes français et européens rejoignent majoritairement des groupes radicaux affiliés ou inspirés par Al-Qaïda, notamment le Front Al-Nosra ou l’Émirat islamique en Irak et au Levant (EIIL).

Et à partir de là ce sont souvent eux-mêmes, par les messages, photos et vidéos postés sur internet, qui donnent aux enquêteurs les éléments nécessaires pour déterminer leur implication auprès de groupes classés comme "terroristes" et constituer leur dossier en prévision de leur retour éventuel. Certains affirment ne jamais vouloir rentrer, d’autres vouloir mourir en martyr mais d’autres, effrayés ou déçus d’être cantonnés à des tâches subalternes, prennent au bout que quelques semaines ou mois le chemin du retour.

David Thomson, auteur du livre "Les Français jihadistes" (éd. les arènes), rappelle que "les premiers Français sont arrivés en Syrie en 2012, soit par leurs propres moyens, en partant à l’aventure, soit en passant par la Tunisie et en s’inscrivant dans l’importante filière tunisienne. Mais désormais sur place ils ont fait souche et font venir leurs copains".

"Ils savent exactement où ils vont aller et par qui ils vont être pris en charge", ajoute-t-il. "Et cela peut être incroyablement rapide et efficace: souvent trois contacts sur Facebook suffisent." C’est ce qu’une source proche des services antiterroristes a baptisé "le jihadisme du clic".

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