Jean-Marie Delarue: « On doit pouvoir prier en prison »

Prières perturbées, corans maltraités, viande halal interdite… Jean-Marie Delarue, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté dénonce dans un rapport rendu public aujourd’hui les discriminations qui frappent la religion musulmane.

Jean-Marie Delarue:
Dans un avis publié ce dimanche au Journal officiel, vous vous élevez contre les obstacles à la pratique religieuse en prison.

Des détenus nous écrivent pour nous dire: "Je veux pratiquer ma religion et je ne peux pas" ou "des surveillants se moquent de mes convictions". D’autres se plaignent des offices perturbés par le bruit, les va-et-vient. Les nombreuses plaintes écrites qui nous ont été adressées et les constats que nous avons pu faire dans les lieux de privation de liberté (prisons, centres de rétention, hôpitaux psychiatriques…) nous conduisent à tirer la sonnette d’alarme: l’administration pénitentiaire doit prendre les dispositions nécessaires pour assurer le respect des croyances de tout le monde, à la lumière de la diversité religieuse qui est la marque de notre temps.

Vous auriez pu rendre public votre texte au moment du débat sur la laïcité. Pourquoi avoir tardé?
Il est prêt depuis le mois de janvier mais j’ai voulu éviter de nourrir la polémique politicienne.

En réalité, c’est surtout l’islam qui est brimé en prison. Pourquoi ne pas le dire clairement?

Les détenus musulmans, très nombreux en prison, se plaignent mais ils ne sont pas seuls. Des bouddhistes nous ont également alertés à juste titre et cette croyance ultra-minoritaire ne doit pas être oubliée. J’assume le choix de n’avoir nommé aucune religion. Ma perspective est celle de la laïcité.

Vous fondez votre avis sur le respect de la laïcité?

Lors de nos visites en prison, nous nous sommes aperçus que les principes républicains – et notamment la neutralité des pouvoirs publics vis-à-vis des diverses religions – n’étaient pas respectés. Il est urgent que le principe de laïcité, qui garantit le libre exercice des cultes, soit mis en œuvre. Dans sa grande sagesse, la loi de 1905 a prévu le financement par l’Etat de l’organisation des cultes en détention. Il faut simplement l’adapter à une plus grande diversité des pratiques.

"Je crève de faim sans viande"

Quelles sont les formes de discrimination les plus graves?

La première est le non-respect des objets religieux, souvent dû à l’ignorance. Des tapis de prière sont maltraités, on empêche certains détenus de se procurer un coran ou une bible au motif que les livres reliés sont interdits en prison. Je suggère de faire une exception dans ce cas et plus généralement d’autoriser les objets sacrés en prison. Cela suppose évidemment de donner aux personnels la formation nécessaire pour leur apprendre à reconnaître ce qui est religieux et ce qui ne l’est pas.

Vous critiquez également l’absence de nourriture halal.

Faute de pouvoir respecter les observances alimentaires prévues par leur religion, certains détenus de confession musulmane ou juive se réfugient dans les régimes végétariens proposés par l’administration pénitentiaire. Ceux-là nous disent: "Je crève de faim sans viande." Ils devraient pouvoir manger halal ou casher. L’armée a déjà répondu positivement à des demandes similaires. C’est très simple: l’offre existe, le coût sera identique, il suffit de passer de nouveaux marchés.

Les salles de prière ne sont pas assez nombreuses.

Des salles polycultuelles pour les offices collectifs doivent être présentes partout. Là où elles existent, les différentes religions se les partagent harmonieusement. Les lieux de privation de liberté pourraient devenir un exemple de tolérance pour le reste de la société.

Vous prenez la défense des témoins de Jéhovah.

En contradiction avec plusieurs décisions de justice, l’administration pénitentiaire ne les reconnaît pas comme une association cultuelle. Il leur est interdit d’avoir des aumôniers en prison. Même si certaines de leurs pratiques ne sont pas conformes à la morale collective (interdiction des transfusions sanguines par exemple), il faut dénoncer cette discrimination.

La question des aumôniers est plus large. On le sait depuis dix ans : il manque des imams agréés en prison.

C’est un fait et l’administration doit s’efforcer de proportionner le nombre d’aumôniers agréés au nombre de personnes qui se réclament d’une confession. Mais on ne peut pas la rendre responsable des difficultés de la religion musulmane à s’organiser en France. J’ai vu des chefs d’établissement faire des pieds et des mains pour trouver des imams mais les responsables du culte musulman ne proposent pas assez de candidats.

La prison est un endroit à part. Peut-on y prier comme ailleurs?

On ne peut évidemment pas y exercer sa religion dans les mêmes conditions qu’au dehors en raison des normes de sécurité. Cependant une forme de compromis entre l’impératif d’ordre public et la liberté de conscience peut être trouvée.

Est-ce réellement un sujet prioritaire dans un contexte de surpopulation carcérale?

On voit des détenus aller à plusieurs offices, des musulmans assister à la messe, des catholiques à la prière musulmane. Il y a dans ces lieux-là un besoin de spiritualité plus grand. L’univers clos fait vaciller les convictions, conduit parfois à de telles déroutes intérieures que certains incroyants se tournent vers la religion.

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