Italie-Le rejet de l’Europe et de l’euro explose dans les urnes

Jamais depuis des lustres Bruxelles comme les principales capitales européennes n’avaient été aussi inquiètes pour les résultats des élections italiennes. Jamais en effet la péninsule, traditionnellement très europhile, n’a autant douté de l’UE et de la monnaie unique. «C’est la première fois depuis les années 70 que l’Europe est au cœur du débat, et elle est devenue l’objet de clivage politique alors que jusqu’ici elle représentait un sujet consensuel», souligne Marc Lazar, professeur au Ceri-Sciences Po de Paris et à la Luiss de Rome.

L’étriquée victoire du centre gauche de Pier Luigi Bersani, majoritaire à la Chambre des députés mais probablement pas au Sénat, risque de rendre le pays difficilement gouvernable. Mais surtout, le succès dans les urnes du Peuple de la liberté, le parti de Silvio Berlusconi allié de Roberto Maroni de la Ligue du Nord, mais aussi celui du mouvement protestataire du comique blogueur Beppe Grillo expriment l’ampleur d’un sentiment antieuropéen jusqu’ici larvé. Même si de façons différentes, toutes ces forces ont mené campagne contre «les diktats de l’Europe de Merkel», pour reprendre une des antiennes de campagne du Cavaliere, ou en appelant à un référendum contre l’euro, thème favori des gesticulations de Beppe Grillo. «Ce n’est pas encore de l’euroscepticisme, mais les doutes croissants sur la construction européenne, palpables depuis des années, se sont désormais cristallisés autour de l’euro – devenu le symbole de la vie chère -, mais aussi autour d’interrogations sur l’opacité des institutions européennes et de leur manque de démocratie. Et à cela, s’est ajouté le rejet de politiques d’austérité perçues comme imposées de l’extérieur», analyse Marc Lazar, bien convaincu que «cette campagne électorale avec ses accents antieuropéens laissera des traces».

Dette. L’enjeu des élections allait bien au-delà des seules frontières de la péninsule. Troisième économie de la zone euro avec une dette pesant 2 000 milliards d’euros – la première de l’UE en valeur absolue et encore plus en pourcentage (désormais 127,3% du PIB) -, l’Italie est aussi un des membres fondateurs de la Communauté européenne. Une crise de la dette italienne – par ailleurs détenue en majorité par des institutions financières nationales – aurait des répercussions dévastatrices sur toute la zone euro. La démission de Silvio Berlusconi, en novembre 2011, imposée par les marchés comme par ses principaux partenaires européens, en premier lieu Berlin et Paris, avait permis d’éviter le pire.

Parrainé par le président de la République, l’ex-communiste Giorgio Napolitano, «il professore» Mario Monti, économiste prestigieux de l’université Bocconi et ancien commissaire européen, avait pris la direction d’un gouvernement de techniciens qui a rapidement rétabli la crédibilité européenne du pays en lançant un certain nombre de réformes. En premier lieu desquelles celle des retraites. Il était appuyé au Parlement par le centre gauche de Pier Luigi Bersani et par le Peuple de la liberté de Silvio Berlusconi. Mais au-delà d’opérations coups-de-poing contre la fraude fiscale, le processus s’est enlisé. Ses mesures drastiques d’économies budgétaires, fondées pour les deux tiers sur une hausse des recettes fiscales, ont plongé le pays dans la récession. L’an dernier, 104 000 entreprises ont fermé. Désormais, 8 millions d’Italiens vivent en dessous du seuil de pauvreté et le taux de chômage est de 37% chez les jeunes. L’entrée dans l’arène politique de Mario Monti fut le coup de grâce.

Appoint. A présent, l’homme qui rassurait Bruxelles comme les marchés sera au mieux une force d’appoint pour le centre gauche. «L’important est que la ligne proeuropéenne et les réformes continuent», affirmait avant même le scrutin Guido Westerwelle, le ministre allemand des Affaires étrangères. Le centre gauche ne remet en cause ces options stratégiques mais il compte bien rappeler que la rigueur n’est pas la panacée. «Les engagements européens seront respectés mais nous voulons mettre en avant une politique de croissance pour l’emploi et changer le rapport de force en Europe», rappelait hier soir, sur France 24, Massimo D’Alema, ex-président du Conseil et ministre des Affaires étrangères du centre gauche. Une politique à même de réjouir le gouvernement français. Mais la marge de manœuvre d’un futur gouvernement Bersani, qui devra chercher des alliés aussi bien du côté de Monti que sur sa gauche, sera étroite. Et surtout il ne pourra ignorer que pour une bonne partie de l’opinion italienne, l’Europe est désormais perçue comme une menace. «J’espère qu’il prendra en compte ce malaise», affirme Marc Lazar, soulignant que «cela suppose de mener une pédagogie et d’expliquer l’Europe ce qui a été jusqu’ici trop négligé aussi en Italie».

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