Islam de France: On prend les mêmes et on recommence, jusqu’à quand ? (Tribune)

La politique de la France quant à la gestion de l’Islam de France commence à se préciser. Conséquence directe de l’attentat contre Charly Hebdo, la mise en place de « l’Instance de dialogue » avec les musulmans de France, est menée tambour battant. Après avoir demandé aux préfets de régions d’organiser des réunions avec les représentants régionaux des musulmans, le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, a réuni dans son ministère les auditeurs et lecteurs de plusieurs médias.

Par Hauman Yaakoubi*

Le contact était direct, le débat courtois, constructif et intense. Et une fois encore, comme à chaque fois dans ce genre de réunions, il y a eu une typologie exhaustive des problèmes de l’Islam de France. M. Cazeneuve a expliqué clairement la perception républicaine de l’Islam à l’aune de la laïcité. Il a écouté attentivement et répondu à chaque intervenant avant d’introduire la fameuse Instance de dialogue.

Il ressort de ce débat que les problèmes de l’Islam de France sont les mêmes depuis toujours. Ils sont identifiés et connus de tous, pourtant pas un d’entre eux n’a été résolu malgré les cinq mandats du Conseil français du culte musulman (CFCM). Ces problèmes n’ont pas été résolus parce qu’on n’a pas su, pas pu ou pas voulu le faire. Dans tous les cas, les mandats se succédaient mais les personnes sont toujours les mêmes. Si Dalil Boubakeur et ses troupes n’ont pas réussi à faire quoi que ce soit dans un mandat ou deux, il n’ y a plus rien à espérer d’eux. Ils ont donné la preuve de leur inaptitude à gérer l’Islam de France, de leur incapacité à répondre aux attentes, non seulement, des musulmans, mais aussi des autorités publiques et de leur non représentativité, tant il est vrai que M. Boubakeur n’a jamais été élu. Les élections, il les a toujours perdues et le jeu politique à toujours fait qu’on le désigne en faisant fi du verdict des urnes et donc du choix des votants, drôles de démocratie dans le pays de la démocratie.

Les musulmans de France aspirent à une vraie représentativité. Ils sont en droit d’exiger une table rase, une nouvelle reconfiguration de la gestion de leur culte et surtout du sang neuf, une nouvelle génération de représentants, des compétences nouvelles, des gens qu’ils auraient choisis eux-mêmes de façon démocratique et avec une vraie neutralité de l’Etat comme le stipule la laïcité. La crainte des musulmans français est de voir les mêmes scénarios et mises en scènes se répéter avec la dite « instance de dialogue ». Si ses membres sont désignés, peu importe la terminologie que l’on donnera à leur désignation, recteurs, membres du CFCM, personnalités qualifiées, ce qui importe c’est sur quelle base ils le seront. Tout porte à croire qu’on va prendre les mêmes et recommencer, bref on se prépare à du neuf avec du vieux. Si ces membres ne sont pas élus, et ils ne le seront pas, il y aura une entorse aux principes républicains et à la sacro-sainte laïcité. Lorsqu’on nous parle de personnalités qualifiées, on aimerait des intellectuels élus, des gens qui sachent parler et non des « Chelgoumi » incultes qui n’ont aucune qualification et aucune représentativité. La désignation des « Chelgoumi » serait sinon une insulte aux musulmans de France, du moins ils la considéreraient comme telle. La France ne manque pas de compétences musulmanes.

On accuse souvent les musulmans de rejeter la laïcité. C’est un faux débat. Les musulmans revendiquent la laïcité et appellent de tous leurs vœux qu’elle leur soit appliquée. La raison est simple, les musulmans français sont aussi républicains et respectueux des lois et des valeurs de la République que n’importe quel autre citoyen. Grâce à la laïcité, ils ont pu construire leur lieux de culte, ils peuvent l’y exercé en toute liberté, leur sécurité étant garantie par la République. Grâce à la laïcité, les musulmans ne prient plus dans les caves et les hangars et certains d’entre eux prient dans des mosquées cathédrales classées monuments nationales. Grâce à la laïcité, ils peuvent manger Halal et leurs enfants bénéficier des menus de substitution à l’école, Ils peuvent célébrer leurs fête religieuses, faire l’abattage rituel dans des conditions sanitaires acceptables, ils peuvent aller au pèlerinage et ils peuvent reposer en paix dans des carrés musulmans.

Il y a là tous les problèmes de l’Islam de France, la laïcité permet leur résolution. Et s’ils persistent ce n’est pas la faute de la laïcité, mais celle des instances dirigeantes notamment le CFCM. Si l’on considère ce qui précède, les musulmans de France sont tout à fait d’accord avec M. Cazeneuve, quant à l’application et au respect des valeurs de la laïcité. Le problème n’est donc pas la laïcité.

L’enjeu est déterminant, il y va de la sérénité des musulmans et de la sécurité du pays. Les musulmans ne veulent plus se voir stigmatiser chaque fois qu’un détraqué en mal de reconnaissance commet l’irréparable. Ils sont les premiers à réclamer des Imams modérés et bien formés, ils sont les premiers à réclamer des aumôniers compétents, puisque tous ceux qui ont commis des attentats ont fait de la prison. Ils y entrent voyous et ils en sortent Imams autoproclamés, fanatisés parce que ignorants ou simples d’esprit et donc faciles à instrumentaliser.

Et puis la France devrait s’appuyer sur les pays musulmans amis comme le Maroc qui ont fait leurs preuves en matière de gestion de la religion qui se traduit par une stabilité dans un monde arabo-musulman en ébullition. Des pays modérés, au rite malékite pragmatique et ouvert sur son temps. Cela ne signifie pas une ingérence des pays amis dans la gestion de l’Islam en France, mais une coopération à l’instar de la coopération en matière de sécurité et de lutte contre le terrorisme.

En tout cas, l’initiative de M. Bernard Cazeneuve a eu le mérite d’avoir réuni des auditeurs et des lecteurs de médias différents qu’il a écoutés avec une grande attention, d’avoir établi un dialogue franc et directe avec des gens concernés par la question de l’Islam et des musulmans de France, qu’il en soit remercié.

*Chercheur; Docteur d’Etat en sciences politiques

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