Irak: Paris avance ses pions pour peser dans la région

Onze ans après avoir refusé de suivre Washington et Londres dans l’invasion de l’Irak, la France tente de revenir sur le devant de la scène dans la région avec ce pays menacé par les jihadistes, tant sur le plan diplomatique qu’en envisageant une action militaire.

Trois jours avant la tenue à Paris d’une conférence internationale sur "la paix et la sécurité en Irak", le président François Hollande était attendu vendredi dans ce pays, pour "apporter aux autorités irakiennes le soutien de la France pour lutter contre les terroristes de Daesh (l’Etat islamique)".

La France, qui fournit aussi des armes aux combattants kurdes face aux jihadistes et achemine une assistance humanitaire aux réfugiés chrétiens et yazidis dans le nord du pays, fait ainsi un retour marqué en Irak, un pays avec lequel elle a entretenu des liens historiques forts mais ambigüs, sous le régime de Saddam Hussein – renversé par l’invasion américano-britannique de 2003.

"Nous sommes membres permanents du Conseil de sécurité, nous avons des responsabilités à cet égard. Notre intérêt national, notre sécurité nationale, est en jeu et c’est pour cela que nous intervenons. On ne peut pas laisser se créer un sanctuaire islamiste à cinq heures de vol de Paris", explique un diplomate français.

La mission historique de protection des minorités chrétiennes a aussi été invoquée par Paris.

Légitimité internationale

Dans la région et au-delà, le soutien français rassure ceux qu’une intervention militaire américaine, entamée depuis le 8 août par des frappes contre les positions de l’Etat islamique, inquiète.

"En 2002-2003, la diplomatie française avait vu juste en refusant l’engagement dans la guerre et en prévoyant les conséquences de l’intervention: faire du pays un camp d’entraînement pour al-Qaïda, alors que l’organisation en était absente avant la chute du régime de Saddam Hussein", rappelle Karim Emile Bitar, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).

Contrairement aux Etats-Unis, Paris se montre soucieux d’obtenir une légitimité juridique internationale, avec la bénédiction du pouvoir irakien et des Nations unies.

En Irak, il a fallu une menace directe contre les intérêts nationaux américains – l’avancée des jihadistes menaçant la capitale du Kurdistan autonome, Erbil, qui héberge de nombreux ressortissants américains – et la décapitation filmée et diffusée dans le monde entier de deux journalistes américains par l’Etat islamique pour que Washington se décide à agir.

Jusqu’où doit s’étendre la coalition internationale contre l’Etat islamique ? Doit-elle incorporer l’Iran, principal soutien du régime syrien de Bachar al-Assad, honni par les Occidentaux ?

"Rien ne peut se passer en Irak sans l’aval de l’Iran", reconnaît Denis Bauchard, de l’Institut français des relations internationales. Les chiites au pouvoir à Bagdad sont très proches de Téhéran. Ils sont aussi accusés d’avoir marginalisé la communauté sunnite, au risque de la jeter dans les bras des jihadistes.

Eviter un rôle de sous-traitant

Le chef de la diplomatie française Laurent Fabius a précisé mercredi que la France participerait "si nécessaire" à une action militaire aérienne en Irak. Elle dispose de six avions Rafale et un peu moins d’un millier de soldats aux Emirats arabes unis et pourrait aussi mobiliser son porte-avions Charles de Gaulle.

"Une telle participation doit être efficace et ciblée. On doit conserver une part d’autonomie. On ne veut pas être le sous-traitant des Américains", souligne un responsable français sous couvert d’anonymat.

Surtout, Paris se refuse pour l’instant à suivre le président américain Barack Obama qui a promis de "détruire" l’Etat islamique et menacé de le frapper non seulement en Irak, mais aussi en Syrie, où l’EI est apparu, à la faveur de la guerre civile entre les rebelles et le régime de Bachar al-Assad.

"Ce ne sont pas les mêmes crises" et "il ne faut pas mélanger les deux problématiques, même si l’Etat islamique est présent dans les deux pays", juge le responsable français.

Les diplomates français rappellent volontiers qu’il y a un an, Paris était déjà en pointe pour qu’il soit procédé à des frappes aériennes en Syrie – à l’époque contre le régime de Bachar al-Assad – mais avait dû revoir in extremis ses plans quand les Etats-Unis avaient renoncé à cette opération.

La France craint que des frappes contre l’EI en Syrie renforcent militairement le régime syrien sur le terrain et apporte un surcroît de légitimité à Bachar al-Assad, particulièrement diabolisé par Paris depuis plusieurs années.

"Toute intervention militaire en Irak ne constituerait pourtant qu’un pis-aller. Il n’y a pas de stratégie globale pour la Syrie et l’Irak qui sont des questions liées", estime Karim Emile Bitar.

Selon lui, une opération militaire aujourd’hui en Irak ne va servir qu’à "réparer les conséquences de la précédente intervention". "En préparant les conditions de la prochaine !", regrette le chercheur, en rappelant que le pouvoir central irakien reste très affaibli.

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