Il faut changer le logiciel de la politique d’immigration

Avec une cinquième loi sur l’immigration et l’asile en sept ans, Nicolas Sarkozy a incontestablement fait de cette problématique l’un des marqueurs de son action. Mais l’abondance de la production législative souvent soumise aux aléas de l’actualité souligne avec force les limites et les échecs de cet apparent volontarisme. La première loi de 2003 avait pour principal objectif de renforcer la politique de lutte contre l’immigration clandestine. En cela, elle apparaît comme la grande sœur de celle qui sera discutée cet automne utilisant des arguments similaires. La faible exécution des mesures d’éloignement justifiant dès lors l’allongement de la durée de rétention en formait la charpente.

En pleine séquence sécuritaire marquée par nombre de surenchères, sous le feu des critiques du monde entier, voilà donc que le gouvernement entend rationaliser son système d’éloignement afin d’en améliorer l’efficacité. Qu’est-ce à dire ? Que 30 000 expulsions annuelles et leurs cortèges d’injustices, de drames, ne suffiraient donc plus à nourrir l’ogre populiste. Dès lors, le ministre de l’immigration n’hésite pas à pointer du doigt l’inefficacité des lois précédentes en nous expliquant que 75 % des arrêtés de reconduite à la frontière ne sont pas exécutés. Cet aveu, prétexte à un nouveau tour de vis, donne le véritable éclairage d’un texte qui porte un coup très dur aux droits des personnes et à l’équilibre de nos libertés publiques.

En prévoyant par exemple que le juge des libertés ne puisse intervenir qu’au bout de cinq jours de rétention contre 48 heures aujourd’hui, ce texte à la constitutionnalité douteuse fait échapper l’étranger placé en centre de rétention à la protection du juge judiciaire, qui ne pourra plus contrôler aussi efficacement la régularité des conditions d’interpellation de l’étranger et l’exercice effectif de ses droits. Le champ d’intervention du juge judiciaire sera en outre restreint et la portée de ses décisions sur la libération de l’étranger limitée. De surcroît, le ministre offre à l’autorité administrative de nouveaux moyens de coercition par la création d’une interdiction de retour sur le territoire français de deux à cinq ans, applicable à l’ensemble du territoire de l’Union européenne.

Seconde mesure phare du projet, l’allongement de la durée de la rétention administrative de 32 à 45 jours conduit, entre autres, à banaliser l’enfermement des étrangers et renforce les moyens accordés à la politique du quota d’expulsion. Cette mesure ne résulte pourtant pas d’une obligation européenne, dont les textes d’application rappellent constamment aux Etats qu’ils ont à justifier toute privation de liberté en établissant que d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être appliquées.

REVOIR NOTRE LEGISLATION SUR L’IMMIGRATION

La rétention des étrangers est une question complexe, mais il faut toujours avoir présent à l’esprit qu’en démocratie, la perte de liberté ordonnée par l’exécutif constitue une atteinte majeure aux fondements de celles-ci. C’est pourquoi des alternatives qui limitent au maximum l’enfermement des étrangers doivent être recherchées en priorité. L’assignation à résidence, la garantie de représentation, le cautionnement peuvent constituer autant d’alternatives raisonnables en limitant au maximum les traumatismes pour les intéressés. Les exemples étrangers montrent d’ailleurs que ces mesures constituent des solutions crédibles et financièrement moins coûteuses pour la collectivité. Il est temps de revenir aux fondamentaux de la République et à la disposition de l’article 66 de la Constitution, qui dispose : "Nul ne peut être arbitrairement détenu. L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi".

Le meilleur moyen de s’assurer du caractère exceptionnel de la rétention serait alors de dire que le juge judiciaire intervienne dès le premier stade et qu’il décide, après confrontation des points de vue, s’il y a lieu de placer l’étranger en centre de rétention. L’avantage d’une telle réforme serait de permettre un véritable examen individuel et, sur le plan symbolique, de proposer aux étrangers en difficulté les avantages d’un pacte de liberté et de responsabilité en lieu et place de la seule perspective d’un enfermement.

Il faut changer le logiciel de la politique d’immigration. Nombre de personnes placées en rétention n’auraient jamais dû se retrouver confrontées à cette privation de liberté. L’irrégularité du séjour de nombreuses personnes n’est souvent que le reflet d’un droit des étrangers assez restrictif, en constante évolution et d’une lisibilité difficile. Il n’est pas rare que le séjour d’un étranger devienne irrégulier du fait d’une procédure d’asile inéquitable, de règles relatives à l’immigration familiale excessivement encadrées ou de l’absence de canaux d’immigration professionnelle. De même, l’absence d’accès à un titre de séjour de plein droit pour des migrants qui sont de longue date insérés dans la population, qui ont un travail et qui paient des impôts acheminent vers les centres de rétention des personnes qui en d’autres temps n’auraient rien à y faire. La meilleure alternative à la rétention demeure ainsi la mise en œuvre d’une politique juste et humaine qui appelle à une révision profonde de notre législation sur l’immigration.

Jacques Ribs, président de France terre d’asile, et Pierre Henry, directeur de France terre d’asile

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