Houellebecq, apôtre en Allemagne d’une liberté d’expression absolue

L’écrivain français Michel Houellebecq, qui présentait lundi son roman « Soumission » en Allemagne, s’est défendu d’avoir « écrit un livre islamophobe » mais a estimé qu’on en avait le droit, se faisant l’apôtre d’une liberté d’expression absolue.

L’auteur qui avait interrompu, après le massacre de Charlie Hebdo, la promotion de ce livre dans lequel il imagine une France dirigée par le chef d’un parti musulman, participait à une soirée du festival international de littérature de Cologne (ouest), dans un pays où l’admiration qu’il suscite dépasse de loin les polémiques françaises sur son éventuelle islamophobie.

En ouverture de la soirée, il a tenu à livrer une "explication" aux journalistes venus assister à l’unique présentation à l’étranger de son nouveau roman.

"Le début de mes interviews sur +Soumission+ a été pénible car j’ai eu le sentiment de répéter en boucle: mon livre n’est pas islamophobe", a expliqué l’auteur.

Après les attaques terroristes qui ont fait 17 victimes en France, l’auteur estime qu’elles risquent d’être "encore plus pénibles" car il va devoir répéter "1) que le livre n’est pas islamophobe, et 2) qu’on a parfaitement le droit d’écrire un livre islamophobe".

Pour lui, les manifestations de masse qui ont suivi les attentats islamistes, ont moins montré un désir d’unité nationale que "quelque chose de plus simple: les Français sont massivement attachés à la liberté d’expression".

Le romancier a estimé que pour devenir un héros, il suffisait parfois de n’être qu’une "tête de lard". "Les dessinateurs de Charlie Hebdo étaient typiquement des têtes de lard", a-t-il déclaré.

Dans un contexte de tensions autour des menaces jihadistes en Europe qui ont par exemple conduit le mouvement allemand anti-islam Pegida à annuler lundi à Dresde (est) sa manifestation hebdomadaire, la soirée Houellebecq n’a été perturbée par aucun incident et seule une poignée de policiers étaient présents sur le lieu de l’évènement.

"Soumission" ("Unterwerfung" en allemand) est déjà un best-seller en Allemagne, alors qu’il n’est en vente que depuis le milieu de la semaine dernière.

L’éditeur allemand de Houellebecq, DuMont, a effectué un premier tirage de 100.000 exemplaires mais un retirage de 50.000 exemplaires est prévu à partir de lundi.

Si les controverses suscitées par l’auteur en France lui ont valu ses premiers échos médiatiques en Allemagne, Houellebecq y jouit depuis d’une véritable aura.

"On a perçu Houellebecq dès le début beaucoup plus comme un intellectuel alors qu’en France, il a d’abord été considéré comme un auteur à scandale", a expliqué à l’AFP l’universitaire Christian van Treeck, auteur d’une thèse sur "La réception de Michel Houellebecq dans les pays germanophones".

En Allemagne, Houellebecq a fait l’objet de cours universitaires, de recherches et ses romans sont adaptés à l’écran, à la scène, sous forme d’émissions de radio.

L’auteur est même devenu, sous la plume de l’écrivain Bodo Kirchhof dans son livre "Schundroman" ("Roman de pacotille", 2002), un personnage rebaptisé "Ollenbeck", raconte M. van Treeck.

"Ce sont tout autant les facteurs que des signes d’un début de canonisation", souligne l’universitaire.

Et la réception de "Soumission" par la critique allemande tranche avec les jugements dont Houellebecq fait l’objet en France.

"La France, ça n’est pas Michel Houellebecq" et "ça n’est pas l’intolérance, la haine, la peur", a déclaré au lendemain de l’attaque de Charlie Hebdo le Premier ministre français Manuel Valls.

"Je suis Houellebecq", a titré en français le quotidien allemand de gauche Tageszeitung pour parler d’"Unterwerfung".

"Celui qui qualifie Houellebecq d’auteur à scandale qui ne fait que provoquer intentionnellement, celui-là devrait retirer Sade, Rimbaud, Baudelaire, Balzac de sa bibliothèque ou les lire une fois", y écrit la critique Doris Akrap.

Elle accuse ceux qui voient en Houellebecq un pourvoyeur d’idées du Front national ou de Pegida de n’avoir rien compris.

Et son avis est loin d’être isolé. Le prestigieux hebdomadaire Die Zeit, de centre gauche, voit en "Soumission" "une satire pleine d’humour" tandis que le quotidien conservateur Die Welt affirme: "on ne le dira jamais assez fort: +Soumission+ n’est en aucun cas un roman raciste ou islamophobe".

Pour le critique de ce journal, Jan Küveler, "plus que tout autre écrivain européen actuel, Houellebecq a la sensibilité et le courage d’identifier des conflits larvés (de nos sociétés) et d’en faire la folle trame de ses récits".

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