Houcine Dimassi : la Tunisie s’apprête à vivre sa pire crise depuis l’indépendance

C’est un homme soulagé que nous avons rencontré samedi 29 juillet à son bureau au ministère des Finances. La veille, il a quitté le gouvernement avec fracas, accompagnant sa lettre de démission par une lettre où il épingle sévèrement la folle politique dépensière d’un gouvernement qui privilégie l’échéance électorale à la patrie. Et en temps record (moins de deux heures), la présidence du gouvernement lui a rendu la monnaie de sa pièce avec un communiqué reflétant quelqu’un qui cherche à se dérober de ses responsabilités, qui ne veut rien assumer.
Malgré cela, Houcine Dimassi reste entier, évite le piège et se place au dessus de toute polémique stérile. Entre une réunion de passation (sans cérémonial) et une interview à la télé, il accorde un entretien à Business News et il n’a qu’une seule ligne conductrice : sauver la Tunisie du marasme où elle est. Interview…

Houcine Dimassi : la Tunisie s’apprête à vivre sa pire crise depuis l’indépendance
Business News : En une semaine, nous avons eu droit au limogeage pathétique du gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie, à la nomination controversée de son successeur et à la démission spectaculaire du ministre des Finances. N’y a-t-il pas là un mauvais impact sur l’image de la Tunisie auprès des agences de notation et des partenaires étrangers ?

Houcine Dimassi : Oui, absolument. Ces bouleversements très importants qui ont eu lieu ces derniers mois pourraient avoir des impacts gênants, pour ne pas dire négatifs. C’est pourquoi, j’ai hésité, depuis un certain temps, à quitter le gouvernement. Cela fait un mois, peut-être un peu plus, que j’envisageais le départ. Mon souci était de ne pas créer plus d’embarras dans l’intérêt du pays.

A quoi servirait cette démission, puisque ce gouvernement semble être sourd aux critiques ? Vos propos étant identiques à ceux de l’opposition et des médias qualifiés de médias de la honte.

(Longue hésitation) Tout ce que j’espère, c’est que ma démission pousse le gouvernement à changer de position concernant les dossiers clés de divergences.

Samir Dilou a déclaré que vous avez été « normal » durant le conseil des ministres tenu le jour même de votre démission et que vous n’avez pas évoqué votre démission au cours de cette réunion.

Je me suis comporté comme un membre du gouvernement, jusqu’au bout. Même après avoir présenté ma démission, j’ai continué à assumer et, si je suis venu au bureau ce matin, c’est pour assurer la passation avec mon successeur. Je suis conséquent avec moi-même, il ne faut pas confondre les choses. Tant que je suis au gouvernement, je dois respecter l’engagement, c’est un devoir.

On dit que votre limogeage était programmé et vous n’avez fait qu’anticiper…

Je ne peux pas répondre à cette question. Il n’y a eu aucun signe à ce sujet de la part de Hamadi Jebali. C’est même tout le contraire, le dialogue et les contacts ont été très respectueux entre nous, jusqu’à hier.

On accuse également l’UGTT…

Non, pas du tout. C’est faux.

Durant votre exercice, on voyait un peu trop votre secrétaire d’Etat Slim Besbès sur le terrain, les conférences… Vous a-t-il fait de l’ombre ? N’étiez-vous pas qu’un faire-valoir ?

Non, je ne pense pas. Cette image provient du fait que Slim Besbès et moi avions partagé les tâches. Il se trouve que la sienne nécessite plus d’apparat sur la scène extérieure, tout simplement.

Le projet de loi d’indemnisation des anciens prisonniers amnistiés va coûter approximativement un milliard de dinars au contribuable, soit 100 dinars par citoyen et le sujet a été exposé trois fois déjà au conseil des ministres. L’information avait circulé un moment (on parlait alors de 750 MDT) et a été démentie farouchement par des membres du gouvernement. Pourquoi vous n’aviez pas réagi publiquement ?

Parce que tant que je fais partie du gouvernement, je dois m’abstenir de le critiquer. On ne critique pas son gouvernement, cela n’a pas de sens. Sur cette question, on était encore en débat, en dialogue et je n’ai pas à divulguer ce qui se passe aux conseils des ministres, par déontologie et par respect à mes collègues.

Le risque de faire fonctionner la planche à billets est certain, maintenant que Mustapha Kamel Nabli et vous-mêmes, êtes partis. Il n’y a plus de garde-fous face au gouvernement, que faire ?

Je ne pense pas qu’ils feront fonctionner la planche à billets. Il y a encore des garde-fous dans le gouvernement et la majorité de mes collègues sont rationnels. Une aventure de ce genre ne fait pas partie de leur manière de gérer. Cela relève des rumeurs.
Mais si cela arrive, ce serait une catastrophe irrémédiable. Ce sera le coup de grâce au pays. Ce n’est pas une supposition, c’est une réalité absolue, la planche à billets est une source de ruine pour l’économie du pays et le pays.

Chedly Ayari a laissé entendre ça avec des risques calculés…

C’est son point de vue. Ce que je pense personnellement, c’est un coup de grâce pour le pays. La planche à billets ne peut être que source d’inflation. C’est un processus : inflation, dépréciation de la monnaie nationale, renchérissement des importations, inflation combinée entre l’intérieur et l’extérieur et ça devient irrémédiable.

Une des raisons de votre départ est le limogeage du gouverneur de la BCT. Or Moncef Marzouki a annoncé ce limogeage depuis très longtemps. Pourquoi n’avez-vous pas réagi publiquement pour le sauver comme l’a fait Ridha Saïdi ?

Ma réponse est la même que tout à l’heure, tant que je fais partie du gouvernement, je m’abstiens de le critiquer.

Pourtant, Hamadi Jebali, Ridha Saïdi et autres ont bien critiqué les propos présidentiels relatifs à ce limogeage….

C’est leur affaire…

Vous auriez pu en parler avec le président de la République….

Comment ça ? Je vais frapper à sa porte ? Moncef Marzouki ne m’a jamais consulté, ni sur ces projets de loi relatifs au FMI qu’il a refusé de signer, ni sur la Banque centrale de Tunisie, ni rien.

Avez-vous évoqué tous ces problèmes avec le chef du gouvernement ?

Hamadi Jebali m’a toujours écouté et compris. Mais il a aussi ses contraintes. Les pressions de son parti…
Nous avons pris des décisions aux conseils des ministres et ces décisions n’ont pas été appliquées. Il y en a même qui sont inscrites, noir sur blanc, dans la loi de finances complémentaire, comme c’est le cas de la compensation.

En supposant qu’il remporte les prochaines élections, le gouvernement met en danger son propre quinquennat, en agissant de la sorte. Comment va-t-il faire demain ?

Oui absolument, il met en danger son propre quinquennat. J’adresse d’ailleurs un conseil amical à mes collègues, du gouvernement et particulièrement à mes amis d’Ennahdha, c’est que lorsqu’on pense aux élections, il faut penser à ce qui va suivre par la suite. C’est-à-dire dans quelle société on va gouverner. Il ne suffit pas de remporter l’échéance électorale, il faut trouver ensuite une société gérable.
Un gouvernement est là pour gouverner et non pour répondre aux échos de la rue. Il doit concilier sans créer de dysfonctionnement.

Comment évaluez-vous nos lendemains ?

Nous allons affronter la pire crise depuis l’indépendance. Nous avons eu deux graves crises déjà, une à la fin des années 60 avec l’expérience des coopératives et une au milieu des années 80, après 1986. Et voilà la troisième maintenant qui risque d’être pire que les précédentes.
Lors des deux premières crises, la conjoncture internationale était bonne et nous avons pu nous en sortir puisque ces crises ont été amorties.
Or là, il y a une conjonction entre la conjoncture nationale et celle internationale.

Concrètement, que peut faire l’opposition pour sauver ce qu’il y a à sauver ?

Il faut qu’elle s’unisse et forme un front. Elle doit prendre des positions claires sur ces questions importantes, car l’opposition peut également jouer le même jeu électoral et faire les mêmes déviations que le gouvernement actuel.

Et vous ?

Je compte rester indépendant et servir mon pays à ma manière à travers un travail de recherche, de sensibilisation et de prise de conscience des véritables problèmes et défis qui se posent à notre pays tels qu’ils sont. J’ai l’expérience sur ces sujets, avant d’être ministre et je peux faire un travail qui s’apparente à l’information et la communication ou un travail de consulting avec les organisations qui comptent, notamment l’UGTT. Mais en tant que consultant, pas en tant qu’actif. Et pas nécessairement consultant avec l’opposition, je peux faire ce travail, même avec ce gouvernement s’il se fie à moi. Le souci demeure l’intérêt du pays et de la nation.

Interview réalisée par Nizar Bahloul

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