Hollande traite Sarkozy de « sale mec »: la mort du « off » à la française ?

Hollande traite Sarkozy de
"Sale mec" aurait dit François Hollande à des journalistes au sujet de Nicolas Sarkozy lors d’une rencontre hier. Pas de doute, les réactions UMP ne vont pas manquer. Nadine Morano veut déjà des excuses. Jean-François Copé s’indigne, se déclarant "profondément choqué". Et les commentaires vont suivre. Est-ce que c’est un faux pas ? Est-ce que c’est le signe de la détermination de François Hollande à en découdre avec le Président sortant ? Sont-ce bien les propos tenus ? Quel était le contexte ? Le journaliste qui a rapporté ces propos en avait-il le droit ? Était-ce "off" ou pas "off" ? Bref, cela nous occupe…

Donc, Hollande a dit "sale mec". Et cela devient un événement, surtout que les conditions de cette sortie ne sont pas sans rappeler le fameux "Chirac est usé, fatigué, vieilli" qui, parait-il, coûta tant à Lionel Jospin dans la campagne présidentielle 2002.

De ce buzz du jour (fera-t-il "pschitt !" ou pas ?) on tirera matière à rédaction d’un futur faire part de décès.

Le "off" à la française est presque mort.

Le "off", cette vieille pratique journalistique en forme de tradition nationale, emblématique des relations antiques entre politiques et journalistes va s’éteindre dans les années qui viennent. Parce que le net, les réseaux sociaux, les blogs, le personnal branding journalistique et surtout Twitter…

Le journalisme de demain est condamné à être décentralisé, participatif, organisé et délivré en temps réel. Dans ce monde là, le "off" est condamné d’avance. Et le journalisme à l’ancienne, devenu aujourd’hui, au regard de ce nouveau monde, conservateur, corporatiste, frileux et replié, est condamné avec lui. j’entends déjà ceux qui s’exclameront : "Mais il est mort en 2002, dans l’avion de Jospin !" A ceux-là on répondra que du côté du Palais de l’Élysée, il se porte bien depuis 2007. Mais là aussi, il finira par s’éteindre…

Fini le temps où le journaliste, un brin reporter, deux brins courtisan, partageait les secrets du Prince le temps d’un déjeuner, d’une promenade, d’un voyage… Aujourd’hui, à l’heure du triomphe des réseaux sociaux, de l’instantané, de la transparence, pour le pire comme le meilleur, les petits secrets et les petites confidences vivront moins que ce que vivent les roses, l’espace d’un matin. Quelques heures, quelques minutes, quelques secondes, et puis c’est tout…

Fini le temps où le journaliste politique, dévoué à la presse papier, bichonnait son petit article à l’ancienne, entre sélection et hiérarchisation a minima, en mode "en dire un peu mais pas trop quand même, sinon je serais tricard". Aujourd’hui, il faut dire tout, et tout de suite. La vérité numérique, journalistique et politique est en marche, et comme il était dit dans l’un des articles les plus célèbres de l’histoire de la presse française, rien ne l’arrêtera.

Les journalistes vont en tirer une liberté nouvelle. Le rapport de forces va en effet s’inverser. Logiquement et naturellement. Notre exemple du jour, "le sale mec" proféré par François Hollande, le démontre. Un journaliste rapporte un propos tenu par le candidat socialiste, propos que d’autres n’ont pas rapporté. Dans quelques mois, quelques semaines, quelques jours, tous les journalistes témoins d’une scène d’une même genre la rapporteront. Et certains n’attendront peut-être pas de le mentionner dans leur édition papier, ils le feront sur Twitter, sans attendre une seconde… Quelle puissance quand on y songe…

Ce matin, un spécialiste du net s’interrogeait sur le point de savoir si les journalistes attachés à la couverture des activités de Nicolas Sarkozy rapporteraient ce genre de propos. La réponse s’impose d’elle même : au train où va la révolution numérique journalistique et ce qu’elle engendre, ils n’auront pas le choix. Du reste, comment a-t-on appris que le Président avait baptisé en privé François Hollande le "petit" ?

Certains journalistes en ont déjà tiré les leçons. Il y a quelques mois de cela, un éditorialiste d’une grande station de radio du service public m’avait confessé qu’il était peu en cour à l’Élysée parce que convié à une petite réunion "off" avec le président, il avait fait savoir que pour lui le "off" était une pratique périmée, et que par conséquent, il raconterait tout. L’invitation fut annulée. Anecdote instructive car emblématique du changement de rapport de forces qui s’opère. Depuis 1958, on connait peu de journalistes se payant le luxe de refuser un petit quart d’heure "off" à l’Élysée.

Les politiques vont eux-aussi devoir s’y plier. Tout change. Dans l’entourage de DSK, certains de ceux qui préparaient la campagne qui n’aura jamais lieu, avaient déjà intégré cette dimension engendrée par le net et l’ère de l’instantanéité de l’information transparente. Il était question d’ériger le "no off" en règle d’or du candidat. Tout ce qui aurait été dit aux journalistes aurait été rapportable. Transparence totale.

Les candidats 2012 devront intégrer cette nouvelle règle du jeu et en tirer toutes les conséquences. Oui, il va falloir se contrôler en permanence, en tous lieux et toutes occasions. On verra alors si ceux qui redoutent l’arrivée du règne de la transparence en clamant que la démocratie n’y gagnera pas auront eu raison de crier "au secours Internet arrive !" comme d’autres criaient "au loup !" autrefois.

Dans le feuilleton de cette drôle de campagne 2012, le petit épisode du Sarkozy "sale mec" lancé par François Hollande (pur produit des relations politiques/journalistes à la mode du "off" de papa) est un signal supplémentaire de ce que cette élection présidentielle ne sera pas seulement un affrontement droite vs gauche, Sarkozy vs Hollande. Ce sera aussi un combat journalisme papier vs journalisme numérique, "off" vsTwitter.

*Bruno Roger-Petit, chroniqueur politique

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