Gaid Salah ou la grande désillusion algérienne

par Mustapha Tossa

Il règne en Algérie un air de grande désillusion. Après des semaines de manifestations aussi massives que pacifiques, de poussées de fièvre passionnées et éruptives, fruit d’une jeunesse avide de changement, d’un régime arrivé à bout de souffle, le retour à la réalité ressemble à s’y méprendre à une perte subite d’ivresse d’une longue nuit où tous les rêves étaient permis. Le pays, sa classe politique, sa jeunesse, sa presse s’interrogent avec une grande angoisse sur la séquence d’après.

L’espoir de tout un peuple a été entretenu par des décisions inédites. La clôture brutale du quatrième mandat et l’avortement d’un cinquième qui déboulait inévitablement même sur des chaises roulantes, la mise à l’ombre de certaines personnalités influentes du régime Bouteflika comme son frère conseiller et des hommes clefs des services de sécurité jadis intouchables dans leurs tours d’ivoires, la traduction en justice de certains hommes d’affaires accusés d’avoir prospéré par le biais de la corruption et des passe-droits. Autant d’actes dont le timing laissaient entendre qu’ils épousaient harmonieusement les désirs de la rue algérienne mais dont la motivation était autrement plus perverse et égoïste.

L’homme qui s’est mis à la manœuvre était le vice-ministre de La Défense Ahmed Gaid Salah. C’est lui qui s’est imposé comme le grand ordonnateur de la période post-Bouteflika, son remplacement par le président du parlement Abdelkader Ben Saleh et la décision d’organiser des élections présidentielles début juillet. La grande contradiction de la scène politique algérienne est que les décisions prises par Ahmed Gaida Salah, au nom de l’institution militaires algérienne, ont pour objectif apparent de satisfaire le Hirak mais dans la réalité ni plus ni moins qu’une tentative de régler des comptes politiques personnels.

Ainsi l’arrestation de Said Bouteflika est davantage une vengeance de Gaid Salah contre celui qui s’apprêtait à le démettre de ses fonctions qu’une mise à l’écart pour avoir incarner le népotisme dans sa plus efficace illustration. Aussi l’arrestation de Louisa Hanoune qui semble faire des vagues inédites depuis le mouvement du 22 février n’était en soi qu’un règlement de compte contre une femme politique qui non seulement n’a pas sa langue dans sa poche mais avait exprimé quelques réticences contre la montée en puissance du vice-ministre de La Défense et de sa monopolisation de tous les instruments politiques.

Aujourd’hui, Ahmed Gaid Salah utilise la théorie du complot contre sa propre personne comme le moteur principal de toutes les grandes décisions qu’il a prises. Dans le brouhaha des manifestations, il trace son chemin misant sans doute sur l’extinction progressive des manifestations de rue au fur et à mesure que la realpolitik de son agenda prend le dessus.

Mais dans ce bras de fer, Ahmed Gaid Salah prend le risque de radicaliser son bras de fer avec les leaders du Hirak algérien qui refusent que leurs exigences ne soient cantonnées à l’expurgation du système de Bouteflika de quelques branches aussi mortes que vénéneuse. Il est fort à parier que l’effet de la contestation risque de se focaliser davantage sur la personne de Gaid Salah dont la vengeance aveugle contre ses détracteurs a été telle qu’elle risque de transformer les bourreaux d’hier en victimes politiques d’aujourd’hui. C’est d’ailleurs le sens de nombreuses interrogations sur cette justice expéditive et sélective.

Aujourd’hui, plus que jamais le risque sécuritaire pèse de tout son poids sur la vie politique algérienne. L’Algérie est aujourd’hui source déclarée d’angoisse internationale. La crainte de voir déraper les forces de l’ordre est bien réelle. Et la question qui taraude les esprits est celle de savoir si ce côté pacifique, bon enfant des manifestants algériens qui ont pris cette habitude d’exprimer leurs frustrations par des modes souvent humoristiques allait perdurer. Il n’y a pas d’autres issues à ce bras de fer entre le patron de l’armée Ahmed Gaid Salah et la rue algérienne. Ou les Algériens acceptent le nouveau diktat imposé après Gaid Saleh qui régénère le système tant honni. Ou ils poursuivent leurs manifestations avec le risque prévisible que son traitement sécuritaire soit plus radicalisé. Dans tous les cas, l’Algérie donne aujourd’hui cet inquiétant spectacle d’un homme qui sa balade les yeux bandés sur un champ de mines.

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