France: le divorce sans juge fait grincer des dents

Peut-on se passer d’un juge pour divorcer par consentement mutuel ? Une proposition en ce sens dans un rapport commandé par Christiane Taubira a déclenché une polémique vendredi. Le Figaro a fait sa une de cette suggestion d’un groupe de travail sur « le juge du XXIe siècle » présidé par Pierre Delmas-Goyon, conseiller à la Cour de cassation, remise le 9 décembre à la garde des Sceaux et disponible sur le site du ministère de la Justice.

Ce texte envisage notamment la création d’un nouveau poste de "greffier juridictionnel", avec des responsabilités accrues par rapport aux greffiers actuels pour décharger les magistrats de certaines tâches. Et dans sa proposition 49, il suggère de "donner au greffier juridictionnel une compétence propre pour le prononcé du divorce par consentement mutuel". Concrètement ce nouveau super-greffier étudierait et homologuerait (ou pas) la convention de divorce établie par les avocats des futurs ex-époux.

Simplification des procédures

Le porte-parole de la chancellerie, Pierre Rancé, a souligné vendredi qu’il n’y avait "aucun projet" du ministère sur la question et que le rapport ne représentait "qu’une contribution parmi d’autres avant la concertation sur la justice du XXIe siècle" qui sera lancée vendredi et samedi prochains par un "débat national", inauguré par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault. C’est dans le cadre de ce projet de réforme en profondeur de l’institution judiciaire et de son fonctionnement que Mme Taubira avait commandé une série de rapports.

"À ce stade, on en est vraiment à des sujets ouverts qui sont intéressants en effet ou qui méritent qu’on y travaille sereinement", a aussi assuré la porte-parole du gouvernement Najat Vallaud-Belkacem. Cette idée de "déjudiciariser" le divorce par consentement mutuel, dont la procédure a déjà été simplifiée en 2005, a déjà été évoquée, et rejetée, à plusieurs reprises. Sa réapparition a immédiatement relancé la polémique. La ministre de la Famille, Dominique Bertinotti, s’est dite favorable à une "simplification des procédures" s’il y a "des hommes et des femmes qui sont absolument d’accord".

La secrétaire générale du Syndicat des greffiers de France (majoritaire), Isabelle Besnier-Houben, est "tout à fait d’accord" avec la proposition, qui "va dans le sens de l’évolution de la société". "C’est ce qui se fait de facto dans la plupart des cas aujourd’hui", relève-t-elle, expliquant qu’en grande majorité "le juge ne fait qu’homologuer la convention". Mais le son de cloche est différent chez les juges, et les avocats.

"Pas les mêmes garanties" que le juge

Le barreau de Paris a ainsi dénoncé ce qui serait "une démission de l’État dans la protection de ce qui demeure le plus important des liens de droit". Rappelant la récente "réforme majeure" du mariage, étendu aux conjoints de même sexe, les avocats parisiens jugent qu’il "serait paradoxal aujourd’hui d’en disqualifier et d’en minorer le contrôle". Le président du Conseil national des barreaux, Jean-Marie Burguburu, se dit lui dans Le Figaro contre "un tel mélange des genres entre le juge qui prend la décision et le greffier qui jusqu’à présent ne faisait que la mettre en forme".

L’idée ne trouve pas plus grâce chez les magistrats. "Le problème de fond, c’est que nous sommes face à une institution dont la dissolution doit obéir à un certain formalisme. Le juge s’assure du consentement, de l’intérêt des enfants, des intérêts financiers", souligne Christophe Régnard, président de l’Union syndicale des magistrats (USM), largement majoritaire. Or le "greffier juridictionnel" ne présentera pas les mêmes garanties qu’un juge, dont "il n’aura pas le statut protecteur", et "lui transférer en propre des pouvoirs juridictionnels n’est pas acceptable", poursuit-il.

En 2012, selon les statistiques du ministère de la Justice, il y a eu 128 371 divorces prononcés, dont 69 431 par consentement mutuel (54 %), sur 380 376 saisines de juges aux affaires familiales.

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