France: le Front national, de l’antisémitisme à l’anti-islamisme

L’antisémitisme du parti français d’extrême droite Front national s’est estompé sous la présidence de Marine Le Pen, malgré la persistance de préjugés, l’ennemi numéro un étant dorénavant « l’islamisme », au risque de dérapages anti-musulmans, selon des spécialistes.

Avec la marche blanche contre l’antisémitisme la semaine dernière, à laquelle a participé Marine Le Pen, "on a cassé le rétroviseur. C’est le contrepoint de ce qu’a pu être le +point de détail+ de Jean-Marie Le Pen", le cofondateur du FN, quand il parlait des chambres à gaz, assure le porte-parole du FN Sébastien Chenu. "Désormais, on ne pourra plus associer Front national et antisémitisme", affirme-t-il.

Marine Le Pen "n’est ni antisémite, ni négationniste", admet le politologue Jean-Yves Camus.

Quand elle accède à la tête du FN en 2011, elle souhaite être accueillie en Israël, où se rend son compagnon Louis Aliot. Le parti exclut la même année des cadres de l’Oeuvre française, dont Yvan Benedetti, qui se définissait comme "antisioniste, antisémite et anti-juif", rappelle l’historien Nicolas Lebourg.

L’été 2014, Marine Le Pen plaide même en faveur de la Ligue de défense juive, un groupe radical qui existe car "il y a un grand nombre de juifs qui se sentent en insécurité", selon elle.

Elle va jusqu’à exclure en 2015 son propre père du parti qu’il lui a légué, après ses propos polémiques sur la Shoah.

"Il y a eu une forme de ménage", reconnaît M. Camus. Pour autant, "la rupture n’est pas complète" car beaucoup d’élus au Conseil national (parlement du parti) ont adhéré du temps de Jean-Marie Le Pen et des proches de Marine Le Pen au passé sulfureux sont toujours au FN.

Les préjugés semblent persister, selon une étude de 2014 de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol), d’obédience libérale: 49% des électeurs de Mme Le Pen en 2012 déclaraient vouloir éviter un président de la République juif, contre 21% dans l’ensemble de l’échantillon.

La dirigeante frontiste a été accueillie par des huées à la marche blanche organisée par le Conseil représentatif des institutions juives, qui n’avait pas souhaité sa venue.

Il reste pour le Crif "des points de contentieux" dans le programme du FN, qui veut interdire le port de la kippa dans l’espace public et l’abattage rituel, "deux mesures attentatoires aux libertés des Français juifs", explique Jean-Yves Camus.

Mais ces désaccords n’ont pas empêché l’électorat de confession juive de progresser dans le vote FN, de 4,5% en 2007 à 13,5% en 2012, voyant dans ce parti un "bouclier" face aux agressions qui se multiplient dans les années 2000, rappelle Jérôme Fourquet (Ifop).

"Les juifs se sont sentis délaissés alors qu’ils voient que ce ne sont plus les +fachos+ qui les agressent mais des jeunes issus de l’immigration arabo-musulmane", ajoute-t-il. Le climax est atteint avec la tuerie de Mohamed Merah dans une école juive en 2012, dans le sud-ouest de la France.

"L’islamisme est profondément marqué par la guerre contre les juifs", note le député LR Claude Goasguen.

Le Crif "se trompe d’ennemi depuis des années", estime Marine Le Pen, pour qui "l’islamisme" est devenu l’ennemi prioritaire, bien que l’islam ait été longtemps considéré jusqu’aux années 80-90 par le FN comme un allié contre "l’ordre américano-sioniste".

Marine Le Pen n’a de cesse de dénoncer "l’islamisation de la France", au nom de la République et de la laïcité. Au congrès de Lille (nord), elle dénonce "l’islamisme, cet épouvantable totalitarisme".

Au risque de dérapages. Marine Le Pen a été poursuivie en 2010 pour incitation à la haine – puis relaxée – après avoir comparé les prières de rue de musulmans à l’Occupation nazie.

Aux législatives, le FN a dû faire le ménage et retirer l’investiture à des candidats ayant tenu des propos islamophobes et antisémites. Comme Samuel Potier, qui avait comparé une femme voilée à une dinde. Il a pu pourtant être candidat au Conseil national mais n’a pas été élu.

Pour Nicolas Lebourg, "la question de l’antisémitisme se mêle à celle de l’islamophobie", qui est devenue "un mythe mobilisateur venant amplifier la perception galopante d’une France en voie de fragmentation en communautés hostiles".

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