France: la gauche pleure sa République exemplaire

France: la gauche pleure sa République exemplaire
Dans son bureau, fatigué, ce député socialiste s’accorde un trait d’esprit : «On était déjà dans une machine à laver. On est passé au cycle essorage.» Les élus de la majorité sont lessivés. «Assommés», disent certains, par le «mensonge» de Jérôme Cahuzac. «C’est dur, encaisse Laurent Grandguillaume (Côte-d’Or). On se bat sur le terrain pour faire de la pédagogie…» Et derrière, voici la «République exemplaire», sur laquelle ils ont fait campagne, disqualifiée. «C’est la lose. Dans les têtes des gens on est tous des corrompus, se désole Gwenegan Bui (Finistère). On leur demande des sacrifices et maintenant ils apprennent que le grand argentier avait un compte en Suisse.»

«Lunaire». Tous les députés PS ont reçu mardi soir un SMS annonçant la venue de Jean-Marc Ayrault à leur réunion de groupe hier matin. Vingt minutes de présence, une salle fournie et un Premier ministre assurant que «ni lui ni le président de la République n’avaient été informés de quoi que ce soit», insistant – stratégie de défense choisie par l’exécutif – que l’affaire prouvait «l’indépendance de la justice» sous la gauche. «Ayrault était très grave, très posé, rapporte un participant. Moins fragile qu’à d’autres moments.» Le président du groupe, Bruno Le Roux, a prié ses troupes de «faire bloc». «C’était lunaire, lâche un député, consterné. On nous a demandé de ne pas apparaître abattus dans l’hémicycle. En somme : "Souriez puisque c’est grave." Et, après, on a parlé de la ruralité…» Seul dans cette réunion à tenter de porter le débat sur la «réponse» à la crise : Malek Boutih. L’élu de l’Essonne a plaidé pour un «nouveau souffle» : «Il nous faut retrouver pied chez nos électeurs, confie-t-il à Libération. Il faut envoyer des signaux et pas simplement répondre sur le terrain de la morale. Se différencier de la droite sur la République exemplaire, c’est bien, mais, qu’on le veuille ou non, tout cela vient de voler en éclats.»

Dans les couloirs du Palais-Bourbon, il y avait quand même des socialistes «abattus». «Mon grand-père était à la CGT mineurs, mon père était syndicaliste, j’ai pleuré [mardi] soir avec le stress de la journée, confie Nicolas Bays (Pas-de-Calais). Je me suis dit : "C’est pas la gauche pour laquelle je m’engage."» «Malheureusement, ceux qui incarnent la gauche aujourd’hui sont endogames avec un système qu’ils sont censés combattre, poursuit un élu. Et d’où vient le pognon ? On va remettre une pièce dans la machine "ces magnifiques années 90"…»

D’autres de ses camarades en appellent au «sursaut». «Tout le monde a conscience qu’il y a eu une défaillance, défend Matthias Fekl (Lot-et-Garonne). Il faut maintenant expliquer que la République exemplaire, c’est sanctionner immédiatement et avec intransigeance. Dans cette affaire, la main de l’exécutif n’a pas tremblé.» «La République exemplaire est parsemée d’embûches, abonde Grandguillaume. Ça prend du temps. C’était dur. Ça l’est encore plus. Mais faut y aller.» Ces députés font vœu de davantage de «transparence» : «renforcement du Parlement», protection contre les lobbys, «indépendance de la justice», audition des ministres au Parlement lors de leur nomination pour éviter les conflits d’intérêts, lutte contre les paradis fiscaux… «Il nous faut un électrochoc salutaire», demande Nicolas Bays.

Car, à l’intérieur du PS, certains promettent déjà un effet «dévastateur». Par mesure d’exemplarité, Harlem Désir n’a pas attendu que l’ex-ministre du Budget rende sa carte du parti : «Jérôme Cahuzac s’est exclu de fait du PS. Il n’en sera désormais plus membre.» «Pourquoi on tire sur l’ambulance ? Chaque exclu a droit à la défense dans la commission des conflits du parti, rappelle un député. Désir a donné les orgues de Staline, mais Cahuzac avait décidé de ne pas revenir à l’Assemblée.» D’où une législative partielle à venir dans la 3e circonscription du Lot-et-Garonne.

«Sursaut». Le séisme Cahuzac peut-il ébranler les fondations déjà attaquées de Solférino ? «La question est : "Qui déclenche la rébellion et comment ?"» interroge un député. Le conseil national du 13 avril promet d’être animé. Et la gauche du parti, rêvant d’un «sursaut politique», voit dans la convention sur l’Europe prévue en juin une échéance «déterminante» pour fédérer les mécontents. «Sinon, ça va être une rébellion par les pieds de nos militants. Ils vont se casser», prédit un dirigeant.

La confiance est déjà bien entamée. Hier matin, devant les grilles de Solférino, un groupe de jeunes passe, voit les camions de télé prêts à transmettre la déclaration de Désir. L’un deux se tourne vers sa copine : «Ils vont nous faire croire que personne n’était au courant.»

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