France: l’affaire Tariq Ramadan sème le trouble dans les rangs musulmans

Les déboires judiciaires de l’islamologue suisse Tariq Ramadan, inculpé de viols et maintenu mardi en détention, suscitent la consternation dans les rangs musulmans, mais aussi l’impression d’un "deux poids deux mesures" voire d’un "complot" contre une des rares figures médiatiques de l’islam européen.

Le théologien suisse, qui a catégoriquement nié les faits allégués, a été inculpé et incarcéré vendredi. Mardi, il a été maintenu en détention provisoire.

Cette affaire a éclaté fin octobre, après les dépôts de plaintes de deux femmes, dont la militante féministe Henda Ayari.

Constatant le trouble que risquait de provoquer la mise en cause d’une personnalité jouissant d’une aura certaine auprès des musulmans européens, le président du Conseil français du culte musulman (CFCM), Ahmet Ogras, avait souhaité "que la justice se prononce très rapidement".

Trois mois plus tard, rares sont les responsables musulmans acceptant de parler publiquement du sort de Tariq Ramadan, le petit-fils du fondateur de la confrérie islamiste des Frères musulmans. Il est accusé par certains de dissimuler le projet d’un islam politique sous couvert de discours réformiste.

Amar Lasfar, président du mouvement Musulmans de France (ex-UOIF), qui gravite dans l’orbite "frériste", n’a toutefois pas caché que nombre de ses coreligionnaires étaient "choqués, troublés".

"Tariq Ramadan, ce n’est pas n’importe qui (…), c’est quelqu’un qui a accompagné l’installation de l’islam et des musulmans en Europe", a argué ce dirigeant lundi sur le plateau de la chaîne française d’information continue Cnews. Mais, a-t-il relevé, "quand même, la présomption d’innocence dont tout le monde a bénéficié, y compris un certain nombre de responsables dans notre pays, n’est pas reconnue à M. Tariq Ramadan".

Président de l’Observatoire contre l’islamophobie au sein du CFCM, Abdallah Zekri confirme ce sentiment parmi les fidèles des mosquées.

"Certains disent +voilà où en est ce monsieur charmeur, à force d’avoir joué avec le feu+", confie à l’AFP ce délégué de la grande mosquée de Paris, dont Tariq Ramadan n’est pas la "tasse de thé".

Mais d’autres "ne comprennent pas pourquoi il a été mis en détention provisoire immédiatement, contrairement à des élus, et pour nous c’est assez difficile de l’expliquer", ajoute-t-il. "Certains parlent de +deux poids deux mesures+ et ça c’est assez mauvais: cela apporte de l’eau au moulin de la radicalisation", déplore-t-il.

Indifférence

Le politologue Haoues Seniguer a vu de la "consternation" dans les commentaires de musulmans sur les réseaux sociaux face aux développements accablants de l’affaire.

Mais "visiblement, malgré les accusations lourdes qui pèsent sur Tariq Ramadan, certains continuent de croire qu’il y a un complot", constate-t-il. Ces réflexes conspirationnistes sont nourris par "un antisémitisme presque systématique", note-t-il.

"Ainsi veulent-ils détruire Tariq Ramadan", a réagi sur Facebook, sans nommer les "ils", le mouvement "Résistance & Alternative", créé fin janvier à Paris autour de l’intellectuel suisse pour continuer à promouvoir sa "pensée". La page de l’organisation a déjà été "likée" par plusieurs milliers d’internautes.

Pour Haoues Seniguer, la prudence de certains musulmans quand il s’agit d’évoquer le cas Ramadan s’explique par un "concept clé": "Il y a l’idée qu’il ne faut pas faire la +fitna+, la division, en s’en prenant à un frère". Ce qui n’empêche pas un sentiment de malaise largement partagé. "Il faut laisser la justice faire son travail, mais Tariq Ramadan a toujours tenu un discours très puritain, et le fait qu’on découvre des accusations contraires à cela ne peut que provoquer de la gêne", fait valoir l’islamologue Razika Adnani.

Faut-il parler d’un silence gêné? Attention à "l’essentialisation des musulmans", avaient souligné il y a quelques semaines deux journalistes femmes du site d’information musulman Saphir News, invitant à ne pas "oublier la diversité des opinions qui traverse les musulmans, y compris s’agissant de Tariq Ramadan".

"Il y a aussi de l’indifférence", abonde Haoues Seniguer. "On a fait une erreur de lecture: Tariq Ramadan n’a plus la position centrale qu’il occupait dans les années 90", fait-il valoir.

AFP

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