Enseigner les maths en français? Au Maroc, la question divise

Faut-il enseigner les mathématiques ou la physique en français plutôt qu’en arabe? La question déchire la classe politique marocaine et un texte de loi prônant une ouverture linguistique est bloqué au Parlement.

La présentation de la loi-cadre devant la première chambre du Parlement suscite une "crise législative sans précédent", selon le parti conservateur de l’Istiqlal (opposition) qui a appelé mercredi le gouvernement à "engager sa responsabilité" avec un "vote de confiance".

Cette loi-cadre visant à réglementer le secteur de l’enseignement a été adoptée en conseil des ministres mi-2018, suscitant de fortes résistances au nom de la défense de l’identité nationale.

Principaux points de discorde: l’enseignement des matières techniques et scientifiques en français –et dans une moindre mesure en anglais– et l’instauration de frais de scolarité pour les "familles aisées".

L’objectif de la mesure sur les langues est de mieux préparer les élèves à l’enseignement supérieur, dispensé en français dans la plupart des spécialités.

L’arabe et l’amazigh (berbère) sont les deux langues officielles mais le français est largement utilisé dans le monde du travail. Selon l’Organisation internationale de la francophonie, le Maroc comptait en 2018 plus de 12,7 millions de locuteurs français sur ses 35 millions d’habitants.

Le projet de loi-cadre sur l’enseignement émane du Conseil supérieur de l’éducation, un organisme consultatif chargé d’élaborer une "vision stratégique" pour une "école d’équité et de qualité".

Le texte avait déjà opposé le Parti justice et développement (PJD, formation islamiste qui dirige la coalition gouvernementale) et l’Istiqlal, qui défendent traditionnellement l’arabe, aux autres partis, favorables à une ouverture linguistique.

Les désaccords ont ressurgi cette semaine provoquant deux renvois de l’examen du texte au Parlement.

– "Trahison" –

Jusque dans les rangs du parti islamiste, défenseur de l’arabe classique –la langue du Coran–, le texte a révélé des divisions profondes: l’ancien chef du gouvernement issu du PJD Abdelillah Benkirane, toujours populaire au sein de sa formation, a appelé son successeur Saad-Eddine El Othmani, également issu du PJD, à démissionner si la loi passait.

Pour lui, le français est la "langue du colonisateur" et adopter le texte serait une "trahison des principes du parti".

"Le français est utilisé +de facto+ mais ne l’est pas +de jure+: cela montre qu’il y un flou" sur l’usage des langues au Maroc, analyse Nacer Naanaa, responsable à la CDT, un syndicat opposé à la loi-cadre et notamment aux mesures conduisant à la "privatisation du secteur".

La presse marocaine est également divisée entre défense de l’arabe et soutien à l’ouverture sur les langues étrangères, face au chômage qui frappe un jeune urbain sur quatre.

Le quotidien francophone "Aujourd’hui le Maroc" titrait jeudi sur la "surenchère". Le quotidien Akhbar Al-Yaoum reprenait pour sa part en une les propos d’un responsable de l’Istiqlal pour qui la loi-cadre est "non-constitutionnelle" et dont le "but est la francisation".

La Conférence des présidents d’universités (CPU) du Maroc a recommandé début mars l’enseignement des matières scientifiques en français, tout en préconisant aussi un enseignement de ces matières en anglais. Dans le camp adverse, une pétition a réuni plusieurs centaines de signatures, selon les médias locaux.

– Politique d’arabisation –

L’arabisation de l’enseignement est intervenue au Maroc au début des années 1980, notamment pour renforcer le rôle des conservateurs et islamistes face à une gauche contestataire.

Beaucoup de responsables politiques –y compris les pro-arabisation– inscrivent toutefois leurs enfants dans des écoles étrangères payantes, pour leur assurer un avenir. Le Maroc compte près d’une quarantaine d’établissements d’enseignement français homologués, soit l’un des réseaux les plus importants dans le monde.

"Un jour, ils ont décidé d’arabiser alors qu’on n’avait pas les moyens de le faire. Aujourd’hui, ils décident de franciser alors qu’on n’a pas les moyens de le faire. C’est normal: ils décident pour les enfants des autres, leurs enfants ne sont pas concernés. Au-delà de la langue, c’est le politique qui est en jeu", a fustigé jeudi l’écrivain Mohamed Ennaji sur Facebook.

La question linguistique déchaîne fréquemment les passions dans le royaume, certains intellectuels ayant même appelé à un enseignement en darija, l’arabe dialectal marocain.

Selon l’Unesco, le Maroc fait partie des 25 pays les moins avancés du monde en termes de scolarisation, avec un taux d’analphabétisme d’environ 30%.

Classes surchargées, fermetures en cascade d’écoles, abandon scolaire… les défaillances du système éducatif marocain sont régulièrement pointées du doigt.

Les enfants des familles aisées vont dans le privé ou dans les écoles étrangères tandis que des dizaines d’écoles publiques ferment chaque année, parfois pour laisser place à des projets immobiliers.

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