En Libye, contradictions et zones d’ombre dans les stratégies occidentales

Cinq ans après l’intervention qui a abouti à la chute de Mouammar Kadhafi, les grandes puissances occidentales poursuivent des stratégies difficilement lisibles en Libye, entre soutien officiel à un gouvernement internationalement reconnu et présence militaire clandestine aux côtés d’acteurs rivaux.

Nouvelle terre d’implantation du groupe jihadiste Etat islamique et base de départ de centaines de milliers de migrants en quête désespérée d’Europe, la Libye constitue un véritable cocktail explosif mais suscite des réponses contradictoires, voire "schizophréniques", selon Patrick Haimzadeh, ancien diplomate français et spécialiste de ce pays.

Américains, Français, Britanniques et Italiens soutiennent le gouvernement d’union nationale (GNA) dont la constitution a été arrachée au forceps par l’ONU en décembre 2015 pour tenter d’enrayer le chaos en Libye, menacée d’éclatement. Et répètent que tout soutien militaire ne se fera qu’à la demande de ce gouvernement.

Mais dans le même temps, Paris, Londres et Washington dépêchent depuis des mois dans ce pays, et ce dans la plus grande discrétion, de petits groupes de militaires – membres des forces spéciales, de services secrets, "conseillers".

Si les Etats-Unis ont reconnu il y a quelques mois la présence de "petites équipes" chargées de faire du renseignement et d’identifier les forces en présence, la France a été contrainte d’admettre son engagement sur le terrain après la mort mercredi de trois de ses militaires, officiellement dans un accident d’hélicoptère à Benghazi (est), même si, selon des sources libyennes, l’appareil a été abattu par une milice islamiste.

"Des soldats français, britanniques et américains se trouvent sur la base de Benina" à Benghazi pour "surveiller" le groupe Etat islamique, sans combattre, ainsi que dans "plusieurs autres bases et villes libyennes", dont Tobrouk (est), Tripoli et Misrata (200 kjm à l’est de la capitale), a finalement confirmé jeudi le chef de l’aviation des forces du général Khalifa Haftar, l’homme fort de la région.

Or, cet officier controversé, qui s’est posé en héraut de la lutte contre les islamistes, soutient une autorité politique basée dans l’est et ne reconnaissant pas le gouvernement de Tripoli.

Question : que font des militaires occidentaux aux côtés du principal opposant au gouvernement libyen internationalement reconnu ?

"Il y a une vraie contradiction entre le soutien au GNA et celui aux forces d’Haftar dans l’est du pays", souligne Mattia Toaldo, expert au centre de réflexion ECFR.

Pour lui, comme pour Patrick Haimzadeh, les Français sont les plus engagés aux côtés des forces du général Haftar. "C’est une stratégie totalement illisible, complètement opposée à la logique diplomatique de soutien au GNA", déplore M. Haimzadeh, pour qui le général Haftar, également soutenu par les Egyptiens et les Emiratis, est le principal responsable de la division de plus en plus affirmée entre l’est et l’ouest de la Libye.

"Ils sont actifs, participent à la définition des cibles. Les trois militaires français qui ont été tués se trouvaient d’ailleurs dans un hélicoptère des forces d’Haftar", renchérit Mattia Toaldo, qui estime qu’à Benghazi, les Français "se retrouvent impliqués dans la guerre civile" imbriquant des groupes rivaux, des jihadistes de l’EI et les forces de ce général. Paradoxalement, la France est le pays le plus engagé dans les efforts diplomatiques pour soutenir le gouvernement de Fayez al-Sarraj, constate le chercheur.

Le GNA a d’ailleurs réagi avec force après l’annonce de la mort des trois Français, estimant que leur présence dans l’est constituait "une violation du territoire libyen".

"La réalité, c’est qu’il faut tout faire dans la lutte contre Daech (acronyme arabe de l’EI) et que les troupes du général Haftar ont été les premières à se positionner contre Daech", explique une source française, niant toutefois que les militaires français aillent au-delà de leur mission de "renseignement". Interrogées, les autorités françaises se bornent à répéter qu’elles soutiennent le GNA.

Selon MM. Toaldo et Haimzadeh, Britanniques et Américains sont plus actifs à Syrte, bastion de l’EI sur la côte à 450 km de la capitale, où les forces loyales au gouvernement de Tripoli mènent depuis plus de deux mois une offensive pour déloger les jihadistes. Environ 250 membres des forces gouvernementales ont été tués et plus de 1.400 blessés depuis le début des combats.

"Les Britanniques protègent aussi les puits de pétrole dans le golfe de Syrte, à la limite, c’est plus cohérent", juge M. Haimzadeh. "En Libye, plus il y a d’ingérence et de soutien à des acteurs locaux, plus on complique la question et plus on s’éloigne d’une solution", estime-t-il.

(Source AFP)

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