Emmanuel Macron en Serbie : une amitié à rebâtir

Deux traits de peinture noire sur l’inscription « Aimons la France comme elle nous a aimés »: l’acte de vandalisme sur un monument à l’amitié franco-serbe résume le désamour de nombreux Serbes avant la visite d’Emmanuel Macron à Belgrade cette semaine.

Cet accès de colère dans le parc du Kalemegdan, en plein centre de Belgrade et tout près de l’ambassade de France, était la conséquence du loupé du protocole français, qui a placé le 11 novembre dans une tribune secondaire le président Aleksandar Vucic lors des cérémonies du centenaire de l’Armistice de 1918.

Celui-ci avait expliqué s’être senti humilié, "la gorge serrée", et avoir songé à quitter Paris avant d’y renoncer.

Et les Serbes de relever que leur pays est celui qui a souffert du plus de morts en proportion de sa population lors du premier conflit mondial, en combattant notamment aux côtés des Français sur le Front d’Orient; ou encore de s’indigner que le président Hashim Thaçi, président d’un Kosovo qu’ils ne reconnaissent pas, avait été placé dans la tribune principale, avec Emmanuel Macron, Donald Trump ou Vladimir Poutine.

"Maladresse regrettable", a plaidé l’ambassadeur de France en Serbie Frédéric Mondoloni, s’attirant les remerciements d’Aleksandar Vucic pour ses "mots merveilleux".

Parmi les 7,1 millions de Serbes, beaucoup n’ont pas cette mansuétude et se demandent si les liens historiques entre les deux pays ne sont pas irrémédiablement rompus. "Paris n’est plus la Ville lumière", a titré le quotidien de référence Politika, proche du pouvoir. "Paris rouge de honte!", "Scandale à Paris!", ont renchéri les tabloïds.

"Il est dégradant de mettre de côté le président d’un pays qui a perdu un tel pourcentage de sa population dans ce conflit" (1914-1918), s’indigne Aleksandra Vojvodic, 44 ans, professeure de français de Belgrade.

"La visite de Macron va peut-être améliorer les choses, mais c’est loin d’être certain. La France comme tout l’Occident ont depuis longtemps déjà leurs positions" sur la Serbie, dit Zorica Radovanovic, ingénieure de 57 ans, francophile affichée.

Le refus opposé en avril 2017 par la France de livrer le Kosovar Ramush Haradinaj, réclamé par la justice serbe qui l’accuse de crimes de guerre durant le conflit du Kosovo (1998-1999), avait déjà suscité un accès anti-français, bien que moindre.

Surtout, beaucoup ne pardonnent pas à la France d’avoir participé à la campagne de bombardements occidentale de 1999 pour mettre fin à la guerre du Kosovo et forcer la Serbie à retirer ses troupes de sa province méridionale, majoritairement peuplée d’Albanais. Cette opération menée par l’Otan reste une profonde humiliation pour de nombreux Serbes.

"Que reste-t-il de l’amitié franco-serbe?", faisait mine de s’interroger le quotidien Politika après l’épisode Haradinaj. "Beaucoup en Serbie parlent de trahison. Mais le fait est que la génération (française) favorable aux Serbes n’est plus, elle est morte".

"Dès les années 1980 il est devenu clair que la France n’entretenait pas cette amitié" forgée dans les tranchées et les montagnes des Balkans lors de la Première guerre mondiale, estime l’historien Cedomir Antic.

Ce désamour s’accompagne d’une faiblesse des liens économiques. Certes, une centaine d’entreprises françaises employant près de 10.000 personnes sont présentes en Serbie, comme Michelin, Société générale ou encore Crédit Agricole. Vinci a récemment remporté la concession de l’aéroport de Belgrade, et Alstom est régulièrement cité pour le projet de métro de Belgrade.

Mais la France ne pointe qu’à la dixième place des exportateurs vers la Serbie et ne figure pas dans le top 10 des importateurs. Contrairement à l’Allemagne ou l’Italie, elle est un partenaire commercial mineur.

Emmanuel Macron sera mercredi et jeudi le premier chef d’État français à se rendre en Serbie depuis Jacques Chirac en 2001, venu à Belgrade quelques mois après la chute de Slobodan Milosevic.

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