Elections : le Royaume-Uni dans le brouillard

Malgré l’avance des Tories dans les sondages, l’issue du scrutin d’aujourd’hui reste incertaine.

Elections : le Royaume-Uni dans le brouillard
C’est un vote crucial après treize ans de gouvernement du New Labour (travailliste), pourtant, jamais depuis plus de trente ans une élection britannique ne s’était annoncée aussi incertaine. A la veille du scrutin, environ quatre électeurs sur dix affirment qu’ils pourraient encore changer d’avis.

Largement en tête dans les sondages avec 35 à 38% des voix, les Tories (conservateurs) de David Cameron – lequel a rénové le discours du parti et prône «un conservatisme compassionnel» – pourraient bien ne pas avoir de majorité en sièges. Il y a donc le risque d’un «Parlement suspendu» et d’un gouvernement minoritaire, situation inédite depuis 1974. Il faudrait aux Tories conquérir 117 sièges pour avoir une véritable majorité. Un tel raz-de-marée, semblable à celui qui avait donné la victoire à Margaret Thatcher en 1979 ou à Tony Blair en 1997, semble bien improbable. Nul n’en sent les prémisses dans ce pays marqué par le désenchantement politique et encore sous le coup du scandale des notes des frais des députés, qui a secoué les deux grands partis.

Effet pervers. Le désir de changement est pourtant là, affirmé sondages après sondages par plus de 60% des Britanniques. Un homme l’incarne, Nick Clegg, le leader des Libdem (libéraux-démocrates, centre gauche), dont la popularité croissante a transformé l’habituel duel Tories contre Labour en une triangulaire. Mais il n’a aucune chance d’entrer au 10 Downing Street. Son soutien à l’un ou l’autre des deux grands partis sera déterminant. Et son probable succès en voix – il est crédité de 24 à 28% des intentions de vote, ce qui l’amène à talonner, voire dépasser le Labour – risque bien de ne pas se traduire par un succès en sièges. Ce sont les effets pervers d’un système uninominal à un tour, où il suffit d’arriver en tête pour empocher la mise. Dans la chambre sortante, le Labour disposait d’une consistante majorité alors qu’il n’avait obtenu que 22% des suffrages des électeurs inscrits. «Il y a désormais une réelle question de légitimité pour les gouvernements élus, et les Britanniques habitués à ce système électoral commencent à le remettre en question», explique David Gardner, éditorialiste du Financial Times.

Avec le vote d’aujourd’hui en tout cas, une page de l’histoire britannique se tourne, celle du règne sans partage du New Labour. Même s’il réussit à limiter sa déroute électorale, le parti ne pourra en tout cas plus gouverner seul. Le bilan de ce travaillisme moderne, ouvert à l’économie libérale, recentré et qui parlait de «troisième voie» est pour le moins mitigé. Il n’en a pas moins réussi à rendre un peu moins injuste la société britannique après les dix-huit ans d’ultralibéralisme de l’ère Thatcher, menant des réformes et relançant les services publics, notamment la santé ou l’éducation. Tony Blair, l’homme symbole de cette politique, pour le meilleur comme pour le pire, s’est fracassé sur l’aventure irakienne et, après 2005, il a passé le relais à Gordon Brown, qui piaffait d’impatience.

Même en tenant compte de l’inévitable usure du pouvoir, pour le Labour cette défaite annoncée c’est donc d’abord celle de Brown. «C’est la tragédie d’un homme qui a tout fait et tant attendu pour devenir Premier ministre et qui, une fois installé au 10 Downing Street sans avoir été élu, n’a pas su quoi dire, ni quel projet porter. Il s’est comporté en technocrate. Il est resté un chancelier de l’Echiquier, ce qu’il faisait très bien, et n’a pas su devenir un Premier ministre», relève encore David Gardner, soulignant que son seul moment de grâce fut pendant la crise financière où il put montrer ses capacités dans la gouvernance économique.

sans illusions. Une telle situation aurait dû permettre une facile victoire du camp conservateur. Mais Cameron peine à convaincre. Il clame «vouloir rendre la parole peuple». Il dénonce «un Royaume-Uni en miettes». Autant de thèmes qui le différencient des Tories de l’époque Thatcher. Mais même après cinq ans à la tête du parti, celui que l’on surnomme «le Tony Blair tory» n’a pas rénové, ni restructuré une formation très à droite et profondément eurosceptique. Il s’est contenté d’un ravalement de façade. Ce brillant fils de très bonne famille paraît à beaucoup par trop dilettante, tout comme nombre des membres de sa garde rapprochée, dont George Osborne, son chancelier de l’Echiquier en cas de victoire.

Longtemps plutôt favorable au New Labour, le monde de la finance a pour l’essentiel pris fait et cause pour les conservateurs, mais sans illusions. Tous le savent, l’après-élection sera dur dans un pays dont le déficit budgétaire dépasse cette année les 11%. Dans les dernières heures de campagne Cameron a fait feu de tout bois, affirmant qu’un gouvernement sans majorité sera en position de faiblesse pour mener la cure d’austérité nécessaire. En quelque sorte un appel au vote utile, qui est sa dernière carte.

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