Destituer Rousseff, un pari hasardeux pour sortir le Brésil de la crise

Le Brésil s’est lancé dans une aventure incertaine avec la volonté de l’opposition de destituer la présidente Dilma Rousseff, personne n’imaginant une sortie rapide de la crise quelle que soit l’issue de la procédure parlementaire.

Si Mme Rousseff était écartée, elle serait remplacée par son vice-président centriste, Michel Temer, qui irait jusqu’au bout du mandat fin 2018.

Afin de sortir le pays de la récession et de restaurer la confiance de la population dans les institutions, minées par les scandales de corruption, la recherche de consensus, voire d’un simple accord à minima, paraît compliquée.

La présidente a appelé jeudi à "un grand pacte" passant par une "indispensable réforme politique", mais sans en préciser les contours.

"Le paysage est très nébuleux, cette crise ne cessera pas avec un simple changement de personnes", qui de toute façon "resteront exposées à de prochains scandales", explique à l’AFP Edson Sardinha, responsable du site d’informations parlementaires Congresso em Foco.

"Dans toutes les hypothèses, il y aura de grandes difficultés", car Mme Rousseff ou M. Temer devront prendre des mesures qui frustreront leurs camps respectifs, estime Ribamar Oliveira, chroniqueur au quotidien financier Valor Economico.

Selon un sondage de l’institut Datafolha diffusé samedi soir, 61% des Brésiliens – contre 68% à la mi-mars – sont favorables à la destitution de Mme Rousseff et 58% à celle de Temer.

Très impopulaire, Mme Rousseff a nommé à la mi-mars Luiz Inacio Lula da Silva, son prédécesseur (2003-2010) et mentor politique, comme chef de cabinet, poste équivalent à celui de Premier ministre, afin de mobiliser les soutiens nécessaires à la Chambre des députés (1/3 des voix) pour faire barrage à sa destitution. Mais cette nomination a été gelée par la justice, qui enquête sur l’implication présumée de l’ex-chef d’Etat dans le scandale de corruption Petrobras.

Jeudi soir, le procureur général Rodrigo Janot a recommandé que la cour suprême annule l’entrée de Lula au gouvernement, estimant qu’il s’agissait d’un subterfuge pour le faire échapper à la justice ordinaire. Cela n’empêche pas cette figure emblématique de la gauche latino-américaine de multiplier les contacts dans un hôtel de Brasilia.

Lula conserve l’espoir d’entrer au gouvernement dont il deviendrait l’homme fort en vue d’une possible candidature à la présidentielle de 2018.

Selon le dernier sondage Datafolha, il obtiendrait au premier tour 21% des suffrages, suivi de son ancienne ministre de l’Environnement Marina Silva (19%) et du social-démocrate Aecio Neves (17%), candidat malheureux contre Rousseff en 2014.

Sa première mission en tant que chef du cabinet de Mme Rousseff serait d’essayer d’apaiser les marchés, qui réclament des mesures d’austérité, et les grands secteurs industriels et de l’agro-industrie, qui se sont prononcés en faveur de la destitution de la présidente.

Ribamar Oliveira estime cependant "peu probable que Lula pourra adopter quelque mesure qui contrarie les organisations et mouvements sociaux de gauche qui manifestent dans les rues contre +le coup d’Etat+ visant Dilma".

Edson Sardinha souligne que Mme Rousseff, même si elle surmonte l’impeachment, "n’aura pas les moyens de gouverner", parce que "sa coalition sera toujours aussi divisée" et que l’opposition ne lui fera aucune concession.

Sans oublier que sa fragile coalition demeurera exposée à de nouvelles révélations liées à l’affaire Petrobras.

La versatilité des alliances et le scandale lié à la compagnie pétrolière nationale pourraient aussi compliquer la tâche à M. Temer.

La campagne électorale du ticket Rousseff-Temer est dans le collimateur de la justice électorale, qui le soupçonne d’avoir reçu des dons provenant du système de corruption autour de Petrobras. Si cette accusation était prouvée, cela entraînerait l’organisation d’élections présidentielles anticipées.

Le nom de M. Temer (75 ans) a aussi été cité dans l’affaire Petrobras, sans qu’il fasse en l’état l’objet de poursuites.

Le vice-président, crédité de 1% à 2% d’intentions de vote en cas d’élection, pourrait paradoxalement retourner sa faiblesse politique à son profit autour d’un programme de redressement économique d’urgence.

"Si Temer s’engage à ne pas se présenter à l’élection de 2018, il pourrait négocier les conditions de réformes évitant un scénario pire encore", souligne l’économiste Zeina Latif.

Son arrivée "produirait un soulagement immédiat des marchés", mais cet état de grâce ne durerait pas, estime Ribamar Oliveira.

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