Déjeuner à la chancellerie : chez MAM, la loi burqa au menu (Libération)

Déjeuner à la chancellerie : chez MAM, la loi burqa au menu (Libération)
Mardi dernier, Michelle Alliot-Marie a convié à déjeuner les députés membres de la mission d’information sur la burqa, avant la présentation, le lendemain, du projet de loi en Conseil des ministres. Nous sommes une vingtaine à nous retrouver ainsi autour de la table, place Vendôme. En rejoignant le ministère, nous sommes passés devant ces grandes bijouteries, si prisées des familles royales saoudiennes ou qataries.

Faut-il croire les informations parues dans Marianne, selon lesquelles le ministère de l’Intérieur aurait fait savoir aux dignitaires des pays du Golfe que leurs ressortissantes voilées ne seront pas inquiétées lorsqu’elles viendront faire leurs emplettes dans les magasins de luxe parisiens? Toujours est-il que sur le chemin de la chancellerie, nul niqab à l’horizon. Ce seraient plutôt les robes noires des Mercedes et autres Aston Martin garées devant le Ritz!

La discussion que la ministre anime est à mes yeux l’illustration la plus éclatante de la confusion dans laquelle la loi s’apprête à être adoptée.

Dans son introduction, la garde des Sceaux indique qu’elle avait elle-même «hésité» sur la question, mais qu’elle a fait sienne la volonté d’une réaffirmation de «principes» relatifs au «vivre ensemble» et au «respect de la dignité humaine». Elle défend le principe d’une loi «très générale», afin d’en faciliter l’application, critiquant en creux la position des socialistes, qui prônent une interdiction limitée aux «services publics» : elle refuse ainsi de confier «aux chauffeurs de bus» la responsabilité de faire appliquer la loi, et invoque l’exemple d’interdictions qui s’appliqueraient «dans les salles de cinéma municipaux», et pas «dans les salles privées». Rien de bien nouveau dans tout cela, même si on note que la question de la conformité de la loi aux principes constitutionnels —invoquée par le Conseil d’État— est prudemment esquivée.

C’est cet aspect de la question qu’aborde Jean Glavany, qui s’exprime au nom du PS. Tout en indiquant que les parlementaires socialistes ne défèreront pas la loi devant le Conseil constitutionnel pour ne pas «faire de cadeau aux islamistes», le député des Pyrénées fait part de sa crainte de voir le dispositif annulé suite à un recours d’une association.

Appelé à m’exprimer, je réitère notre grande perplexité devant cette volonté de légiférer à tout prix dans des conditions d’insécurité juridique, sous la pression non de l’opinion publique, mais de la volonté présidentielle de donner des gages à une partie de son électorat. J’expose les termes de l’équation pour les écologistes: nous sommes face à un réel conflit de valeurs qui oppose la liberté individuelle, d’une part (fût-elle utilisée pour des pratiques qui nous choquent), et l’affirmation d’un principe inviolable d’égalité hommes-femmes. Et je continue à douter de la pertinence d’une loi instable juridiquement et inapplicable dans les faits pour régler la question. Je défends plutôt le rôle d’apaisement qui devrait d’abord être celui des responsables politiques.

Côté majorité, le texte compte pratiquement autant de justifications qu’il a de partisans. Il y a ceux qui, comme Jacques Myard, assument une position clairement hostile à l’islam en général sous couvert de lutte contre l’intégrisme («Ils ne comprennent que la manière forte») et de défense des us et coutumes européennes («Se couvrir le visage n’en fait pas partie»). Il y a ceux qui ne trouvent pas mieux d’en appeler au respect de notre "identité nationale" et de nous citer le précédent belge —comme si, en ces temps troublés, la Belgique pouvait constituer un exemple en la matière!—, ceux qui continuent à invoquer des impératifs de sécurité —pourtant écartés par la ministre elle-même—, ceux encore qui invoquent l’interdiction de se promener nu (en confondant allègrement l’obligation faite, dans un cas, de ne pas montrer ses parties intimes, et dans l’autre, de laisser son visage à découvert, ce qui n’est pas tout à fait de même nature).

Invoquant Elisabeth Badinter, un participant va même jusqu’à indiquer que «puisque les femmes occidentales sont tenues, dans les monarchies du golfe persique, de sortir voilées, il est normal que ce soient nos règles qui prévalent en France»: la distinction entre une dictature et une démocratie échappe apparemment à la sagacité de certains. A ce petit jeu de la «réciprocité», notre démocratie risquerait vite de se dégrader… Bref, autant de positions discutables, mais qui dénotent une absence de réel consensus, et illustrent à mon sens le caractère essentiellement opportuniste de la loi.

Au détour de cette discussion qui —parfois— ne manque pas d’intérêt du point de vue philosophique, mais politiquement finalement assez vaine, une députée socialiste nous offre une occasion de sourire, en rappelant à Michèle Alliot-Marie que les règlements en matière vestimentaire évoluent avec le temps et de nous citer l’exemple de MAM elle-même qui, alors qu’elle était jeune chef de cabinet d’un ministre, dans les années 70, se heurta à l’opposition d’un huissier de l’Assemblée nationale qui lui refusait l’entrée de l’hémicycle au principe qu’elle portait un tailleur-pantalon. La garde des Sceaux, hilare, confirme qu’elle dut alors menacer «d’enlever le bas»— la veste étant assez longue pour ne pas contrevenir à la bienséanc—- pour obtenir le droit de pénétrer dans l’enceinte de l’Assemblée !

En sortant du ministère, je discute avec Pierre Cardo, député UMP des Yvelines. Je retiens de cet échange qu’à l’évidence, la perplexité et le scepticisme devant la nécessité de légiférer ne sont pas l’apanage des écologistes…

Par François de Rugy

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