Ce que cache l’insécurité au Sahel

Au lendemain d’un nouvel enlèvement de Français au Niger, Hassan Alaoui, écrivain et directeur du quotidien marocain Le Matin, souligne que la sécurité de la zone passe par la résolution du conflit du Sahara occidental.

Ce que cache l'insécurité au Sahel
En moins de dix années, le bilan tant «économique» – près de 30 millions d’euros en rançons versées – que technique – une centaine d’otages – de la franchise sahélo-maghrébine d’al-Qaida (Aqmi) est tout simplement édifiant. Issue de l’ancien groupe terroriste algérien GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat), Aqmi est rapidement devenu un cauchemar pour les pays de la région, gagnant en hommes, en technicité et en moyens logistiques à chaque enlèvement, et construisant des alliances opportunistes avec les bandes de trafiquants opérant dans la bande sahélienne. De surcroît, l’offensive d’Aqmi vise désormais nommément la France, ennemi historique du GSPC de par son statut d’ancien colonisateur de l’Algérie, et adversaire honni depuis le raid conjoint des services français et mauritaniens contre un campement de l’organisation terroriste il y a près de deux mois, dans une vaine tentative pour libérer l’otage Michel Germaneau.

L’enlèvement récent des cinq Français au Niger travaillant pour le leader mondial Areva est la démonstration cinglante de la montée en puissance d’Aqmi et de la confiance qu’a prise la nébuleuse devant la dispersion des initiatives pour tenter d’enrayer son action. En effet, face à un ennemi insaisissable, connaissant les chemins du désert et profitant de soutiens locaux, il n’aura jamais été possible de mettre en place une doctrine commune aux pays de la région et aux grands pays ayant un intérêt ­stratégique dans la zone (États-Unis, France, Espagne, etc.).

La principale pierre d’achoppement et frein majeur à une action coordonnée réside ainsi dans un conflit de basse intensité, qui pourrait paraître accessoire à la prolifération du terrorisme sahélien, mais qui est en réalité au cœur de la problématique sécuritaire ­régionale : le différend entre le Maroc et l’Algérie sur le Sahara occidental.

Tout d’abord, le bras de fer entre Alger et Rabat oblige à la multiplication de structures de concertation et de coordination sur la sécurité du Sahel. Lorsqu’Alger réunit cinq pays limitrophes et «omet» d’inviter son voisin, ce dernier rétorque en organisant une conférence à Marrakech, où il convie les experts de trente pays africains pour réfléchir aux moyens de contrer Aqmi, et «oublie» de même de convier les Algériens. Même sur un sujet aussi crucial – qui mériterait un pacte absolu contre le terrorisme -, la rivalité maroco-algérienne liée au Sahara ­occidental revient toujours au centre des débats et hypothèque la mise en place d’une stratégie pérenne et efficace.

Pourtant, l’on avait cru qu’une sortie de crise était possible avec la proposition par le Maroc de l’octroi d’une autonomie pour le Sahara occidental soumise aux Nations unies en 2007, qui avait constitué un véritable aggiornamento de la doctrine marocaine qui était jusqu’alors en vigueur. Malgré cinq rounds de négociations ­directes officielles puis informelles, le Front Polisario, soutenu par l’Algérie, s’en est tenu à sa revendication historique de référendum incluant une indépendance de ce territoire grand comme la moitié de la France pour près de cent fois moins d’habitants potentiels. Inacceptable pour Rabat, qui estime défendre son intégrité territoriale. Or, au conflit politique entre le Maroc et l’Algérie s’est greffé depuis près de cinq ans un risque sécuritaire majeur, pointé du doigt par l’European Strategic and Intelligence Center (Esisc) dès novembre 2005 : «Aujourd’hui, la nature de l’évolution du Polisario fait naître de nouvelles craintes : celles de voir certains de ses combattants et de ses cadres se tourner vers le terrorisme, l’islamisme radical ou la criminalité internationale.»

Lors de l’enlèvement des trois humanitaires espagnols en novembre ­dernier, c’est Omar Sahraoui, un ancien cadre militaire du Polisario, qui a dirigé le kidnapping, avant d’être arrêté par les services de sécurité mauritaniens, puis relâché à la demande expresse d’Aqmi comme contrepartie additionnelle au versement d’une rançon estimée à près de 5 millions d’euros. Ces éléments indiquent clairement qu’un risque de «contamination» islamiste du Polisario par Aqmi est bien réel et ne doit pas être sous-estimé.

En effet, s’il faut moins de trois mois à la nébuleuse islamiste pour former un apprenti kamikaze grâce à Internet, qu’en sera-t-il avec le terreau fertile constitué d’une jeunesse désœuvrée et désespérée, vivant dans les camps précaires du Polisario à Tindouf, au sud-est de l’Algérie ?

Publié dans le Figaro du 22 septembre et avec l’aimable autorisation de son auteur

* Auteur du livre «Guerre secrète au Sahara occidental», à paraître le 30 septembre, aux Éditions Encre d’Orient, Paris.

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