Benkirane II, « En attendant Godot » (Tribune)

On rit, on en pleure aussi, devant l’absurdité de la situation dans laquelle se trouvent Vladimir et Estragon, les deux personnages clefs de la pièce de théâtre de Samuel Beckett : « En attendant Godot » (1952, Paris, Édit, de Minuit). Ces deux « pantins » attendent l’arrivée de Godot et leur attente dure, car Godot ne viendra jamais. La scène politique marocaine offre une étonnante similitude avec cette pièce. Deux chefs de partis (PJD et RNI) négocient, se jaugent et leur palabre traine en longueur, mais l’accouchement (Benkirane II) semble difficile et lointain.

Benkirane II, « En attendant Godot » (Tribune)
I- L’absurdité des deux situations, élément qui donne à l’intrigue un peu de piment et du suspens, n’entraine cependant pas les mêmes conséquences et n’implique pas la même portée dramaturgique. Dans le premier cas, Vladimir et Estragon, que l’auteur, Samuel Beckett présente sous les traits « de pantins », s‘accrochent à l’espoir de voir Godot venir à leur rencontre et ainsi mettre fin à leur attente. Pour passer le temps, ils s‘occupent comme ils peuvent avec des « distractions » douteuses et même méchantes. Mais, leur attente, leur méchanceté et leur insouciance n’engagent en fin de compte qu’eux et n’ont de conséquences que sur eux mêmes.

Dans le deuxième cas, Benkirane et Mezouar, chefs de partis appelés à gérer les affaires d’un Etat dans une conjoncture interne et régionale particulière, font montre d’activisme, se rencontrent, se fâchent, disparaissent, reviennent, communiquent et attendent. Mais, contrairement à Vladimir et Estragon, leur attente nuit à la crédibilité du politique, contrarie le bon fonctionnement des institutions de l’Etat, retarde l’élaboration de lois pouvant rendre effectifs des principes constitutionnels essentiels pour l’évolution démocratique du pays et pour la modernisation de son système politique et institutionnel.
La situation est comique dans un cas et dramatique dans l’autre.

II- Ce que Vladimir et Estragon espèrent gagner de leur rencontre avec Godot reste une énigme, c’est une part importante du mystère entretenu par l’auteur de la pièce. Par contre, ce que Benkirane et Mezouar veulent – ou espèrent- gagner de cette interminable attente est à priori prévisible : gain important en termes de postes ministériels, renversement – ou équilibrage- des rapports de forces politiques, positionnement favorable en vue d’échéances électorales futures. La satisfaction d’un égo personnel, qui passe ici par une victoire éclatante sur l’autre – l’adversaire déclaré d’hier-, fait partie de l’équation ; elle y apparait en filigrane. Les questions de fond, celles soulevées par le RNI dans son mémorandum comme l’exigence d’une « nouvelle architecture » du gouvernement, « la nécessité d’un échéancier clair pour la mise en œuvre des réformes », des « recadrages » au niveau du programme gouvernemental, ou encore la définition d’un « agenda pour la mise en place des lois organiques prévues par la Constitution », n’apparaissent par contre qu’imperceptiblement.

Le pire c’est que pendant que Benkirane et Mezouar attendent Godot, pendant qu’ils apparaissent et disparaissent et que la « ligne droite » moult fois annoncée comme proche devient tortueuse, la polémique enfle, le doute s’amplifie et gagne les rangs des militants et des alliés (MP et le PPS). Ces derniers sont aux aguets, inquiets pour leur quota de ministres, se disent peu informés et même près à engager le fer et aller aux élections.

Plus sérieusement, cette attente désarçonne et inquiète. Elle influe d’une manière négative sur la marche des affaires du pays. Cinq Ministres « gèrent » depuis plus d’un mois et demi les « affaires courantes » de leurs ministères, la hausse du prix du pain, du lait et du carburant plane dangereusement sur le pays, la préparation du projet de loi de Finances 2013 se trouve retardée comme est d’ailleurs retardé l’avancement ou le lancement de chantiers importants telle la régionalisation.

III- N’en déplaise à Vladimir et Estragon, l’auteur irlandais Samuel Beckett les dépeint comme deux pauvres vagabonds portés par un délire métaphysique. Il les a enfermés dans un décor austère qui n’exprime que la misère et l’errance. Il leur a ôté toute ambition. Ils « vivent au jour le jour, aucune réflexion sur le futur » ; ils n’ont rien à faire ni à perdre.
N’en déplaise à Benkirane et Mezouar, ils ont beaucoup à perdre en cas d’échec. L’attente dans laquelle ils semblent se complaire et qu’ils imposent au pays, ne peut relever d’un registre comique. Ils ont reçu délégation pour négocier et, surtout, en vue de trouver une issue honorable à la crise que vit la majorité gouvernementale depuis un temps.

En effet, contrairement aux personnages de la pièce « En attendant Godot », que le registre comique rend moins consistants, ils doivent prendre de la hauteur. De leur rencontre et de leurs « négociations » doit sortir non pas du dérisoire et de l’absurde, mais du solide : une vision claire, une ambition politique forte à la hauteur des attentes du pays, et une « réflexion sur le futur » convaincante.
L’acte I de la mandature n’a pas été brillant. On a beaucoup ri, mais rien vu de déterminant. Aujourd’hui, la question est : L’acte II, serait-il différent et plus consistant que l’Acte I ?

Difficile de prédire l’avenir dans une telle circonstance. Mais « Qui vivra verra ».

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