« Avec Marine Le Pen, le discours du FN sur l’islam a changé » (Jean-Yves Camus, chercheur à l’IRIS)

Que retient-on des sorties médiatiques récentes de Marine Le Pen ? Notamment son attaque à l’encontre des « prières de rue » des musulmans, qualifiées d' »occupation », une saillie pour laquelle la vice-présidente du parti est visée par une enquête. Mais aussi ses propos ayant pour sujet le Quick halal à Roubaix, ou le « financement public » des mosquées, encore sa dénonciation d’une forme de « discrimination à l’embauche » dans les boucheries halal, accusation qui sera démentie. Un point commun à ces polémiques ? Marine Le Pen y vise l’islam.

Jean-Yves Camus, chercheur à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), explique en quoi cette "ligne politique" n’est pas évidente au Front national car elle rompt avec celle de l’époque de Jean-Marie Le Pen. Cette évolution, dont le petit parti Bloc identitaire s’est réjoui, serait une forme d’opportunisme et rapprocherait le FN de partis étrangers comme l’UDC suisse.

Le discours de Marine Le Pen visant l’islam marque-t-il un changement ?

Jean-Yves Camus : Oui, il marque un changement dans le discours du Front national. Pendant très longtemps, la question au cœur du logiciel politique du FN a été l’immigration. Celle-ci était prise à travers une vision des immigrés, notamment nord-africains, marquée par les préjugés coloniaux, envers les "arabes", par exemple. A cette époque, le colonisateur français et même des gens des milieux de droite ne maltraitaient pas l’islam : celui-ci était plutôt vu comme une soupape de sécurité. On a d’ailleurs beaucoup joué des contacts avec les autorités religieuses traditionnelles. L’idée était : "Pendant que les gens vont à la mosquée, ils ne contestent pas le pouvoir."

Depuis, le discours sur l’islam a-t-il changé ?

Ces dernières années, ce discours s’est reformulé, notamment au Front national. Il y a eu une évolution générationnelle. Les choses n’ont plus été regardées à travers le prisme de l’immigration, mais à travers celui de l’islam, une religion. Depuis le 11-Septembre, le focus a donc bougé. Même si le terme "islamophobie" pose problème, car il est poussé par des islamistes qui ont un agenda politique, il est assez juste, au sens propre.

Chez Marine Le Pen, quand a-t-on senti une évolution par rapport à la position de son père ?

On a par exemple vu cette évolution dans les thèmes de campagne des régionales, en mars 2010 : il y a notamment eu les propos contre le Quick halal. Cette ligne politique est très différente du discours de la dalle d’Argenteuil, prononcé en 2007 par Jean-Marie Le Pen : il y tendait la main aux personnes issues de l’immigration, les appelant "les branches de l’arbre France". (En septembre 2009, dans un entretien à Flash, journal proche d’Alain Soral, le président du Front national ne voyait "aucune incompatibilité" entre les "cinq piliers de la foi musulmane" et le "mode de vie français".)

Depuis, on a vu le discours visant l’islam se développer de plus en plus. Il réussit également à l’étranger : en Suisse, avec la polémique sur la construction de minarets et l’UDC, Union démocratique du centre, ou aux Pays-Bas, avec Geert Wilders, le chef du Parti pour la liberté. Ces discours avancent l’idée que le muliculturalisme est ni possible ni souhaitable. L’islam serait donc intrinsèquement incompatible avec un développement sur le sol français et il est vu comme une culture, pas comme une religion : les musulmans "sociologiques", non pratiquants ou athés, restent assignés à la condition de musulman par le discours du FN.

Le Bloc identitaire s’est félicité de l’évolution de la ligne de Marine Le Pen : l’a-t-il influencée ?

Que le Bloc identitaire se félicite ne veut pas dire qu’il est responsable du changement. Le Bloc identitaire est une petite structure, qui joue plutôt le rôle d’une avant-garde ou d’un aiguillon.

En ciblant l’islam, Marine Le Pen fait-elle preuve d’opportunisme, pour plaire à une frange particulière de son électorat ?

L’opportunisme est lié à la politique… En l’occurrence, la question de l’islam ne parle pas qu’à une frange : les musulmans et l’islam sont la nouvelle frontière de l’ennemi. Avant, on opposait le communisme et l’Occident, qui est aujourd’hui présenté comme assiégé par l’islam, menacé par le terrorisme, etc. Ce thème est également exploitable auprès de gens qui ont une vision très laïcisée, et Marine Le Pen en appelle d’ailleurs souvent à la laïcité.

Au Front national, qui s’oppose à la ligne politique visant l’islam ?

Il y a désormais une certaine unanimité dans la désignation de l’ennemi civilisationnel. Sauf pour certains comme Christian Bouchet, qui a pourtant pris parti pour Marine Le Pen. Sur le site VoxNR, il a développé une autre vision, qui considère l’islam comme une forme de résistance à la mondialisation libérale et à l’hégémonie américaine, ainsi qu’une forme de tradition et d’identité.

Propos recueillis par Alexandre Piquard

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