Au Pakistan, le succès d’une télé qui lève le voile sur le sexe

« Mon mari ne veut plus faire l’amour! Que faire, docteur? », implore, désespérée, la digne épouse pakistanaise qui appelle en direct sur le plateau. Au « pays des purs », une émission télé réussit le pari délicat de parler sexe et « maladies honteuses » sans fâcher les conservateurs. Et le public en redemande…

Légère moustache savamment entretenue, chemise blanche tombant sur son corps rondouillard, yeux pétillants et dents d’ivoire, le docteur Nadim Uddin Siddiqui regarde fixement la caméra dans l’un des studios de la chaîne Health TV (Télé Santé) installée près du port de Karachi, la métropole économique du Pakistan, dans le sud du pays.

Une fois par semaine, et pendant un peu moins d’une heure, il répond en direct aux questions des téléspectateurs sur un sujet situé à des lieues des feuilletons politiques, des craintes d’attentats et des éternels matchs de cricket, mais qui passionne tout autant le pays: le sexe. Ou, plus précisément, les problèmes sexuels.

"Mon mari ne le fait qu’une fois par semaine, voire toutes les deux semaines, et cela ne dure pas très longtemps", se plaint la femme, qui dit se prénommer Ayesha et appelle de Lahore, deuxième ville du Pakistan, dans l’est.

"On appelle ça un manque de libido…. Cela arrive lorsque vous avez un faible niveau de testostérone. Il faut s’occuper de la diète de votre mari, lui faire manger plus de poisson et le pousser à faire de l’exercice", répond le plus sérieusement du monde le Dr Siddiqui avant de conclure: "Inch’allah, votre mari ira mieux".

Erections ou libido en berne, crainte de syphilis, interrogations sur un "micro-pénis" ou sur des tendances nymphomanes, des dizaines d’appels rythment chaque semaine l’émission "Clinic Online" du jeudi, consacrée au sexe et inaugurée il y a un an.

"Le sexe est un sujet très sensible au Pakistan, je traite donc de la chose avec respect", explique le Dr. Siddiqui une fois l’émission terminée.

Il attribue une partie du succès de l’émission à son côté utilitaire, notamment pour "combattre les maladies sexuellement transmissibles". Mais il n’y a pas que cela: parler de problèmes sexuels, "les gens aiment ça, en particulier les religieux", dit-il, en affichant sa fierté d’arriver à mettre les formes pour faire accepter ce dialogue dans un pays conservateur où les accusations de dépravation peuvent vite fuser: "Personne n’est jamais venu me voir en reprochant de propager la vulgarité".

Créée il y a trois ans, Health TV fait figure d’ovni au Pakistan, géant musulman de plus de 180 millions d’habitants où l’industrie télévisuelle a explosé depuis la libéralisation des ondes initiée en 2002 par le général Pervez Musharraf, alors au pouvoir.

Aujourd’hui, le pays compte plus de 80 chaînes qui rivalisent d’informations en continu, talk-shows, feuilletons à l’eau de rose et matches de cricket, omniprésents, pour appâter les téléspectateurs friands de nouveauté.

– La fin des tabous –

Propriété de la chaîne d’hôpitaux privés Ziauddin, Health TV tente, elle, d’éduquer la population aux questions de santé dans un pays où l’accès à un médecin demeure compliqué dans les zones rurales, faute d’argent ou en raison des conservatismes: les gynécologues y refusent parfois d’examiner les femmes non mariées, qui ne devraient selon eux jamais avoir eu de relations sexuelles.

"Si une femme a une question délicate à poser, où ira-t-elle? Chez le docteur? Dans notre société, si une femme vient d’un milieu conservateur, quelqu’un, sa mère ou sa soeur, l’accompagnera dans le cabinet du médecin. Ici, elles sont plus à l’aise car elles peuvent conserver l’anonymat", plaide Faizan Syed, le directeur de la chaîne, en rappelant que celle-ci se cantonne à un rôle de conseil et ne fournit "pas d’ordonnances".

L’émission est toute aussi utile aux hommes. "Nous vivons dans une société conservatrice et hésitons à évoquer ces sujets chez le docteur. Nous en tremblons", dit à l’AFP Mehboob Ahmed, un vendeur d’ordinateurs qui regarde souvent l’émission.

D’autres émissions évoquent des sujets d’actualité comme la poliomyélite, maladie dont le Pakistan est le premier foyer au monde et où la vaccination est parfois contestée par les conservateurs, ou des sujets tabous comme l’avortement et le cancer du sein, souvent pudiquement appelé "maladie des femmes" au Pakistan.

"Il n’y a pas si longtemps, on ne pouvait même pas évoquer le cancer du sein, parce que les femmes n’osaient pas parler de leurs seins, elles n’osaient pas parler de leur corps, parce que leur mari pouvait s’énerver. Maintenant, je suis vraiment étonnée, je reçois des questions qui me surprennent et je me dis +waouh+", lance Anoushey Ashraf, mannequin et animatrice d’une émission matinale où mollah, psychiatre et travailleuse sociale discutent ce jour-là d’avortement sur un plateau scintillant.

Car pour faire passer le contenu, le contenant, lui, se veut léché et attirant. Et la caution religieuse vient, elle, le plus souvent donner un poids supplémentaire à l’argument du médecin. Pro-avortement, le religieux en plateau ? "Les enseignements de l’islam font preuve de flexibilité… par exemple si la santé de la mère est en danger", lance le mufti Shahid Madani.

Le public, lui, semble suivre, au regard des dizaines d’appels aux standards des émissions, même si les chaînes pakistanaises ne dévoilent pas leur audimat. Health TV sait bien qu’elle est encore très loin de détrôner les plus grandes chaînes nationales. Mais elle assure que ses parts de marché progressent grâce à des émissions comme celles du Dr. Siddiqui et de la belle Anoushey.

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