Au Maroc, les femmes mulets condamnées à mourir piétinées en l’absence d’alternative

Narjis Rerhaye (A Rabat)

La chaîne de télévision marocaine, 2M, a ouvert, lundi soir son principal journal télévisé de la soirée avec la terrible nouvelle. Deux femmes porteuses de marchandises sont décédées dans une bousculade survenue au poste frontière entre Sebta (Ceuta) et Fnideq, à quelques kilomètres de Tétouan.

Le drame s’est produit le lundi matin 15 janvier, au poste frontière Tarajal II, réservé généralement aux passeurs piétons. Deux femmes mulets –c’est ainsi qu’on les appelle de part et d’autre de la frontière à cause de la charge de marchandises destinées à la contrebande qu’elles portent sur le dos- s’apprêtaient à emprunter ce passage dédié aux piétons avant d’être prises dans l’engrenage d’une bousculade. Venues de Fnideq, Ilham et Souad, deux mères de famille d’une quarantaine d’années, y ont perdu la vie.

Que s’est-il passé ? Comment ces femmes –hamalates comme on les appelle au Maroc, sont-elles décédées ? Et pourquoi des bousculades continuent-elles de tuer à Bab Sebta des Marocaines chargées comme des mulets ? Les circonstances de la bousculade ne sont pas encore clairement établies. Laconique, un communiqué des autorités locales, se contente de préciser qu’ « une enquête a été ouverte par les autorités compétentes sous la supervision du parquet.

Depuis le drame, l’indignation de la population locale est palpable. Des voisins des deux victimes, interrogés, par 2M, laissent éclater leur incompréhension. Mourir après avoir essayé de survivre en transportant plus 50kg de marchandises, sur le dos, pour le compte de contrebandiers qui se chargeront d’écouler la marchandise. Ce n’est pas la première fois qu’une telle tragédie se produit. L’été dernier, en août 2017, deux femmes porteuses de marchandises ont perdu la vie, piétinées dans des bousculades sur ce même poste frontière entre Sebta et Fnideq. Quelques mois auparavant, en avril de la même année une autre citoyenne marocaine faisant partie des « mujeres mulas » est décédée dans les mêmes circonstances, rendant son dernier souffle après son transport à l’hôpital de Fnideq. Elle avait 54 ans.

L’Espagne et le Maroc interpellés

Selon le point.fr, « elles seraient 15 000 à exercer ce travail et passent la frontière à tour de rôle. Les autorités de Ceuta avaient fixé début 2017 le quota quotidien de transit à 4 000 porteurs ». Un travail humiliant et dégradant pour ces femmes du Nord, né d’un commerce transfrontalier juteux pour les contrebandiers et sans cesse dénoncé par les défenseurs des droits humains des deux côtés de la frontière maroco-espagnole. Pour le président de l’Association marocaine des droits humains, Ahmed El Haij, c’est le droit fondamental à la vie qui est ici bafoué. "Les deux pays devaient prendre les mesures nécessaires pour éviter que de ces événements tragiques ne se reproduisent. Mais il y a à peine quelques mois, une bousculade similaire a eu lieu. Les mesures préventives de sécurité n’ont pas abouti aux résultats escomptés. Ce qui impose la nécessité de rechercher une solution plus efficace au problème au niveau du passage d’El Tarajal en multipliant les accès ou en les élargissant. Il faut, en tout cas, éviter de nouvelles bousculades", a déclaré cet activiste à nos confrères de Huffpost Maghreb.

De l’autre côté de la frontière, à Cadix, l’association des droits de l’homme en Andalousie a appelé à un sit in ce mercredi 16 janvier pour appeler aussi bien le Maroc que l’Espagne à trouver une solution urgente et pérenne et ce « avant qu’un nouveau drame ne se produise ».
L’image de ces femmes, croulant sous de lourds fardeaux et harnachées comme des animaux de travail, a fait le tour du monde. Souvent âgées, elles sont condamnées à mettre en péril leur vie pour quelques centaines de dirhams qu’elles empocheront après avoir fait passer la marchandise. A Bab Sebta, port franc, la marchandise passée à pied par les frontaliers résidant à Fnideq est exemptée de taxes. Reste la question que tous se posent : en l’absence d’alternative, les femmes « hamalate », porteuses de ces lourds fardeaux qui enrichissent les autres, sont-elles condamnées à mourir piétinées ?

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