Au Maroc, l’adoption en résidence surveillée

Une circulaire interdit que des orphelins marocains soient confiés à des couples vivant à l’étranger. Une centaine de dossiers, dont ceux de Français, sont en attente.

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Quatre petites chaussettes et un pyjama sèchent sur l’étendoir dans l’entrée. A un coin du salon trône un jouet pour bébé dans son paquet d’origine. Ce sont les seules traces visibles, dans cet appartement de Rabat, de l’existence de Ziad, un petit garçon dont Yassaman et Eric Laurrent, un couple français, ont obtenu la garde le 27 avril 2012, mais qui reste bloqué à l’orphelinat de la capitale.

«J’ai l’impression de vivre un cauchemar qui ne veut pas s’arrêter», lâche Yassaman. Les traits tirés, la jeune femme rentre de l’orphelinat. Comme tous les jours depuis qu’elle a démissionné de son poste de psychologue à l’hôpital de Versailles, il y a trois mois, elle a passé la matinée à laver, habiller, sortir et nourrir l’enfant avant de le coucher et de le laisser derrière elle. Comme tous les jours, elle enrage : «Je ne comprends pas. Je réponds à toutes les conditions exigées par la loi marocaine. Je suis musulmane, reconnue capable par un juge d’éduquer cet enfant et pourtant, je ne peux pas ramener Ziad à la maison. C’est inhumain !»

Convertis. Comme elle, dix autres couples français, une quarantaine d’Espagnols, mais aussi des Suisses, des Belges et des Américains, multiplient, pour certains depuis un an, les allers-retours au Maroc afin de faire aboutir leur kafala, cette procédure du droit musulman qui autorise le placement d’un orphelin dans une famille d’accueil, mais interdit l’adoption plénière. Tous sont musulmans – convertis ou d’origine – comme l’exige la loi au Maroc. Tous ont obtenu la garde d’un orphelin après examen d’un juge. Mais il y a six mois, leurs dossiers ont été bloqués. En cause, une circulaire du ministère de la Justice, datée du 19 septembre, qui recommande aux procureurs de «refuser la kafalaaux étrangers qui ne résident pas habituellement au Maroc». Or, chaque année, 2 000 enfants sont accueillis en kafala, dont la moitié par des familles vivant à l’étranger.

«Cette circulaire n’a pas valeur de loi, les juges pourraient l’ignorer, précise Fatima Zohra Alami, porte-parole d’un collectif d’associations d’aide à l’enfance qui a lancé une pétition. Mais chacun applique sa propre loi, ce qui donne des situations complètement différentes d’un tribunal à l’autre, c’est extrêmement choquant.» Ainsi, à Meknès, les couples dont au moins l’un des deux membres est musulman ont vu leur dossier aboutir. A Casablanca, non. Un couple dont la femme est d’origine marocaine et le mari converti à l’islam a vu sa demande rejetée. Enfin, à Rabat une dizaine de couples étrangers ont décidé de s’installer et de travailler au Maroc, comme l’exige la circulaire. Les orphelins qui leur avaient été confiés ne sont toujours pas avec eux.

«C’est incompréhensible», confirme Ali Bouinoual, un fonctionnaire français d’origine marocaine qui vit à Lyon. En avril 2012, il a obtenu la garde de Yassir, alors âgé de 3 mois. En septembre, il fait une autre demande de kafala avec sa femme à Marrakech. Rejetée en première instance et en appel. Le couple s’est pourvu en cassation et vit une attente angoissée. «C’est l’enfer, explique Ali au téléphone. Il s’agit d’êtres humains ! Ces enfants ont déjà vécu un abandon, ils ont besoin de parents, il ne faudrait pas qu’on les abandonne une deuxième fois !»
Du côté du ministère de la Justice, l’argument est simple : une fois qu’ils sont hors du pays, les enfants sont difficiles à suivre par le Maroc. «Dans les cas de kafala à l’étranger, on ne peut pas être sûr que l’enfant est élevé dans un cadre correct, dans un cadre islamique», a expliqué Brahim Lisser, directeur des affaires civiles du ministère.

Privation. La loi relative à la kafala promulguée en 2002 prévoit que les consulats marocains assurent le «contrôle» à l’étranger, mais dans les faits, cet article est peu appliqué. «C’est à l’Etat de se donner les moyens d’assurer ce suivi, pas à l’enfant d’en payer les conséquences», fustige Rita Zniber, fondatrice d’un orphelinat à Meknès et membre du collectif Kafala. Pour elle, comme pour beaucoup, cette circulaire est l’expression d’une «vision étroite de l’islam et [d]’une méconnaissance de la réalité» du nouveau ministre de la Justice, Mustapha Ramid, et de son mouvement, le parti islamiste Justice et Développement, arrivé au pouvoir il y a un an et demi.

«Il faut trouver les moyens de garantir le suivi de ces enfants à l’étranger, soit par les consulats marocains, soit par la signature de conventions avec les pays d’accueil», confirme Driss el-Yazami, directeur du Conseil national des droits de l’homme, qui vient de terminer un rapport sur l’état des 27 orphelinats du pays. «Ces établissements sont débordés, souligne Fatima Zohra Alami. Les enfants sont parqués et vivent dans une privation affective et matérielle permanente faute de moyens.»

Ces privations, Yassaman les observe à l’orphelinat de Ziad. L’enfant a développé une hypotonie axiale à force, sans doute, d’être trop allongé. Eric résume l’urgence de la situation : «Plus les enfants grandissent, moins ils comprennent que nous les choyions quelques jours puis que nous disparaissions.» Le 1er avril, Ziad a fêté son premier anniversaire, à l’orphelinat.

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