Après trois mandats consécutifs, Bouteflika n’a pas fait avancer les réformes économique

Ce n’est certainement pas le bilan économique réalisé durant les trois mandats d’Abdelaziz Bouteflika qui plaiderait pour l’octroi d’un quatrième quinquennat, comme le réclament à grands renforts médiatiques certaines élites et chefs de parti réputés proches du cercle présidentiel.

Hormis les résultats quantitatifs rendus possibles par la disponibilité exceptionnelle de ressources financières essentiellement tirées des exportations d’hydrocarbures, le bilan des trois mandats présidentiels consécutifs ne brille, en effet, par aucune action originale à même d’ouvrir à l’Algérie une nouvelle manière d’entreprendre et de prendre en main son destin autrement que par le budget de l’Etat en bonne partie alimenté par la fiscalité pétrolière.

On a, tout au long de ces quinze dernières années, continué à réaliser des infrastructures de base, des logements et autres initiatives à caractère social sur le même mode que celui qui avait prévalu au temps de l’Algérie socialiste. Tout comme à cette période qui s’acheva avec les troubles d’octobre 1988 qui correspond à un net déclin de la rente pétrolière, les années Bouteflika ressemblent à s’y méprendre à cette époque, à la seule différence du maintien des recettes d’hydrocarbures à un niveau qui permet de dépenser sans compter.

C’est ainsi que 520 milliards de dollars environ (dépenses de l’armée et des corps constitués non comprises) ont été injectés ces dix dernières années au profit du développement économique et social sans qu’on parvienne ne serait-ce qu’à satisfaire les demandes sociales prioritaires (emploi, logement, éducation, formation, eau potable, transport, etc.). Là où des dépenses publiques aussi faramineuses auraient généré des taux de croissance allant de 7 à 9%, en Algérie on se contente du chiffre misérable de 2,5%, d’une explosion sans pareille des importations et d’un recul dramatique de la production industrielle locale. Autant d’indicateurs économiques qui apportent la preuve, s’il en fallait une, de l’inefficience de ce mode de développement reposant exclusivement sur la dépense publique, autrement dit sur la rente pétrolière.

Gouvernance au rabais

Rassuré par l’aisance financière qui s’est installée dans la durée, Abdelaziz Bouteflika n’a pas jugé utile de concevoir une autre façon de conduire le développement que celle basée sur les ressources pétrolières disponibles à affecter en priorité à la réalisation d’infrastructures de base, d’équipements sociaux et de logements. Très peu d’argent (à peine 0,4% du PIB de 2010) a été consacré à la formation des ressources humaines, au renforcement du management des entreprises et des institutions publiques et à la recherche-développement. D’où notre incapacité à gérer convenablement les infrastructures réalisées et organiser nos entreprises de manière à ce qu’elles soient plus compétitives et aptes à prendre en charge une part suffisamment importante de projets à réaliser, malheureusement confiés en grande partie à des étrangers.

Pour ce faire, il aurait fallu que les équipes gouvernementales travaillant sous l’étroite autorité Bouteflika mènent de profondes et rapides réformes visant à instaurer dans notre pays une véritable économie de marché, dotée de tous les outils nécessaires à son fonctionnement. Aucun ajustement structurel notable n’ayant été effectué dans ce sens, hormis quelques réformes bâclées et bien souvent remises en cause quelque temps après, l’Algérie se retrouve, vingt-deux ans après les réformes de 1988, au même point. Pire encore, aux dysfonctionnements encore vivaces hérités du système socialiste, sont venus s’ajouter ceux générés par une pléthore de textes législatifs aussi complexes que contradictoires, promulgués par les nombreux chefs de gouvernement (6) et ministres qui se sont succédé durant les quinze années de règne de Bouteflika.

L’action économique est aujourd’hui très difficile, tant le pays manque de visibilité et de perspectives claires à bien des égards. L’algérien craint d’investir dans son propre pays tant le climat des affaires s’est assombri, le problème de l’accès au foncier industriel toujours pas réglé et le marché informel a la peau dure. L’investisseur étranger est, quant à lui, totalement dérouté, notamment depuis qu’il est fait obligation de partager la propriété de son investissement avec des partenaires algériens. Sur la base d’une simple disposition d’une loi de finances complémentaire qui abroge une ordonnance (il n’y a qu’en Algérie qu’on peut se permettre une telle hérésie juridique), les Investissements directs étrangers (IDE) ne pourront désormais être engagés en Algérie que si leurs promoteurs consentent à s’associer en tant qu’actionnaires minoritaires (moins de 50%) à des partenaires algériens.

Une condition qui n’est même pas ouverte à la négociation qui s’est, de surcroît, compliquée par des mesures d’imposition concernant leurs dividendes et les divers avantages prévus par le code de l’investissement en tant que mesures incitatives. Ceux parmi les investisseurs étrangers qui étaient engagés dans de longues et fastidieuses négociations en vue d’acquérir des entreprises privatisables, ont subitement été écartés de cette possibilité, le gouvernement algérien ayant brusquement décidé de bloquer le processus de privatisation qu’il avait pourtant longtemps brandi comme un élément essentiel de sa politique économique.

Contre toute attente, on en est par ailleurs revenu aux assainissements financiers qu’on croyait à jamais révolus. Les entreprises publiques économiques ont ainsi englouti l’équivalent de 38 milliards de dollars accordés par l’Etat sous forme d’effacement de dettes et de remises à flots budgétaires. Il est évident qu’avec autant de capitaux, il aurait été possible de créer des milliers de nouvelles entreprises et un nombre incalculable d’emplois qui viendraient renforcer le développement du pays et non pas le tirer vers le bas par des entreprises publiques moribondes et budgétivores. Et ce n’est vraiment pas ainsi qu’on construira une économie de marché dont le chantier traîne, du reste, depuis plus de vingt ans.

L’immobilisme, voire même la régression qui affectent la gouvernance de pratiquement tous les secteurs d’activités économiques sont tels qu’on n’ose même pas espérer des changements systémiques, du moins dans le court et moyen termes. Les réformes promises pour assurer la transition à l’économie de marché n’ont, en effet, pas été réalisés et à bien des égards on note même l’abandon d’un principe qui constitue le fondement du système. Il s’agit de l’autonomie de gestion des entreprises, consacrée par la réforme de 1988, mais qu’Abdelaziz Bouteflika avait peu d’années après son investiture remis en cause, convaincu que la déchéance des entreprises publiques est due au retrait des ministères de tutelle de la gestion des entreprises. Les chefs d’entreprises publiques ont été de ce fait à nouveau soumis, comme au temps de l’économie dirigée, aux injonctions politico-administratives.

Coup de frein aux réformes post-1988

Il est important de savoir que les réformes économiques entamées en 1988 visaient essentiellement à habiliter notre économie sclérosée par plusieurs années de gestion administrée à s’intégrer au système de marché qui régit aujourd’hui presque toutes les économies du monde. Il fallait pour ce faire libérer les entreprises et les banques publiques des tutelles ministérielles pour en faire d’authentiques firmes, souveraines en matière de gestion mais soumises à l’obligation de résultats, au même titre que les sociétés privées.

Pour un pays qui avait longtemps fonctionné selon la logique de l’économie socialiste, il était bien évident que l’Etat se devait de mettre en place à travers un certain nombre de réformes les éléments structurants du système de marché, à défaut desquels les entreprises ne sauraient activer comme d’authentiques firmes. Il s’agit notamment de la libéralisation des prix et leur soumission au principe de concurrence, de la démonopolisation du commerce extérieur, de la création d’un marché bancaire, d’un marché des changes, d’un marché boursier et d’un marché foncier et autres éléments structurants de l’économie libérale.

En dépit des quelques modifications techniques qu’on a pu constater, la démarche de l’Etat algérien en matière de réforme a su garder une certaine cohérence jusqu’en 1999, date de l’arrivée du président Abdelaziz Bouteflika. Mais plus exactement jusqu’au départ de son chef du gouvernement Ahmed Benbitour, qui avait tenté sans succès de sauver des assauts du nouveau chef de l’Etat et certains de ses hommes proches, ce qui restait de cette cohérence. On constate en effet qu’antérieurement à l’investiture de Bouteflika, la démarche des différents chefs d’Etat et de gouvernement avait précisément consisté à désengager progressivement l’Etat de la gestion des entreprises publiques dont les capitaux étaient confiés à des institutions auxquelles on a accordé le droit de propriété sur les capitaux détenus par ces entreprises.

Les holdings publics disposaient, on s’en souvient, pleinement du capital social de leurs entreprises qu’ils pouvaient ouvrir aux investisseurs privés, de même qu’ils étaient habilités à les dissoudre au cas où leurs bilans seraient désastreux. En dépit des obstacles juridiques qui ont considérablement réduit la portée de leurs actions, ces institutions ont réussi à entreprendre un travail colossal en matière de restructuration, d’élagage d’entreprises insolvables et de recherche de partenaires.

Leur travail aurait certainement beaucoup contribué à améliorer les performances des entreprises s’il n’avait pas été entravé par le nouveau locataire d’El Mouradia et certains de ses proches collaborateurs, hommes qui se sont dépêchés de détruire un système qui avait au moins le mérite de la cohérence pour le remplacer une pléthore de SGP rendue exsangue par les intrusions fréquentes du pouvoir politique. Il faut en effet savoir que de 1996 à 1999, près de 350 EPE avaient signé des accords de partenariat avec de grandes sociétés étrangères, que plus de 150 entreprises insolvables avaient été dissoutes ou redéployées, et qu’une vaste opération de privatisations allait être enclenchée pour soulager l’Etat d’un nombre important d’entreprises publiques budgétivores. Il en est de même pour la bourse d’Alger créée en 1997 par le Holding Services et dont le portefeuille a été bloqué dès l’arrivée de Bouteflika en 1999 aux deux seuls titres qu’elle détenait (El Aurassi et Saidal), ôtant ainsi à l’Algérie toute chance de disposer d’un marché boursier. Il a fallu attendre environ douze années pour que la Bourse d’Alger accueille deux nouveaux titres (Alliance Assurances et NCA Rouiba).

Déclin sans pareil du dinar algérien

La réforme bancaire qui devait concrètement se traduire par l’autonomie effective des banques publiques en concurrence avec des banques privées avait également de bonnes chances d’aboutir, notamment avec le partenariat étranger et la création de nombreuses banques privées nationales et étrangères autour desquelles devait s’organiser la concurrence interbancaire dont notre système financier avait tant besoin. Le frein fut malheureusement tiré dès 1999 sous prétexte pour le moins discutable selon lequel il fallait d’abord recapitaliser les banques publiques qui croulaient toutes sous le poids des créances douteuses, avant de penser à les privatiser.

Plus de 500 milliards de dinars ont ainsi été engloutis, en sus des 700 milliards qui leur avaient déjà été consacrés tout au long de la décennie 90’, dans cette recapitalisation sans qu’aucune des actions de privatisation prévues (CPA, BDL, etc.) n’ait pour autant suivi. Les banques privées, hormis les banques étrangères qui se sont installées en grande partie pour accompagner les hommes d’affaires de leurs pays d’origine, ont quant à elles pratiquement toutes subi les effets collatéraux de l’affaire Khalifa et pour certaines les coups de boutoir de la Commission bancaire, qui ont fait fuir une bonne partie de leurs clientèles. Ce qui choque aujourd’hui, c’est de ne voir aucune banque privée détenue par des algériens activer en Algérie. Toutes ont disparu dans des conditions souvent rocambolesques dès le premier mandat d’Abdelaziz Bouteflika.

La création d’un authentique marché bancaire est de ce fait reléguée aux calendes grecques. Et il en est de même pour le marché des changes que la Banque d’Algérie avait commencé à mettre progressivement en place avant d’être stoppée net dans son élan en 2003 avec la refonte de la loi sur la monnaie et le crédit qui avait réduit drastiquement les pouvoirs de la banque centrale au profit de l’exécutif gouvernemental.

Les projets de création de guichets de change furent ainsi abandonnés, privant là aussi le pays d’un authentique marché du change tout en assurant de beaux jours aux marchés clandestins de la devise, en grande partie responsables du déclin sans pareil du dinar algérien.
En dépit des déclarations d’intention quant à la poursuite et l’approfondissement des réformes économiques, on est malheureusement forcé de constater que depuis ces quinze dernières années, la voie est surtout ouverte à la régression.

Une régression marquée par une reprise en main directe de la gestion des EPE par l’Etat à travers des sociétés de gestion de participation (SGP) dénuées du droit de propriété sur leurs entreprises et qui ne peuvent agir que si elles sont expressément mandatées par l’Etat propriétaire. Cette perte d’autonomie est également perceptible à travers la multiplication des tutelles (Conseil des ministres, CPE, ministères, SGP) et, plus grave encore, l’abandon du principe de l’obligation de résultat à défaut duquel les entreprises fonctionneraient non pas comme des firmes, mais comme des administrations vivant au crochet de l’Etat.

C’est ainsi que le secteur public économique complètement assaini durant la période post-99 s’est retrouvé en l’espace de 10 années avec environ 800 EPE ayant un actif net négatif, autrement dit en situation de faillite, mais que le gouvernement a décidé de maintenir en activité en violation de la législation en vigueur (code de commerce). Les tutelles concernées affirment à qui veut bien les croire que ces entreprises méritent d’être maintenues en activité parce que leurs situations financières résultent de l’histoire économique du pays et qu’elles ont aujourd’hui leur place sur le marché.

C’est une position qui peut se comprendre, mais à condition que les autorités politiques assument cette logique jusqu’au bout. Ce n’est, à l’évidence, pas du tout le cas puisque rien n’est fait pour donner à toutes ces entreprises déstructurées les moyens de fonctionnement requis. De ce point de vue, on peut affirmer que l’Algérie est revenue aux toutes premières années de la réforme, c’est-à-dire au temps où il fallait faire accéder à l’autonomie des centaines d’entreprises qu’on devait à la fois assainir et capitaliser en compensation des services qu’elles avaient rendus au pays du temps du socialisme Au vu de ce constat, il n’est donc pas étonnant que les entreprises présentes en Algérie aient du mal à vivre de leurs propres ressources, à prendre en charge leur destin d’entreprise qui doit créer de la richesse et non pas appauvrir le pays par leurs déficits chroniques.

Il n’est également pas étonnant que les investisseurs étrangers ne se bousculent pas au portillon, même si nos réserves de change n’ont jamais été aussi confortables et les indicateurs macro-économiques pour le moins favorables. Pour choisir de venir en Algérie plutôt que dans un des très nombreux pays qui les sollicitent, il faudrait que les investisseurs puissent trouver non seulement les facilités classiques (téléphone, locaux, terrains, services bancaires, des écoles pour les enfants d’expatriés, des possibilités de loisirs, etc.) que bon nombre de pays peuvent aisément leur offrir, mais également un marché financier qui leur permet de se financer dans les meilleures conditions de délais et de taux d’intérêt, des banques d’investissement fortement capitalisées pour accompagner les gros projets, un marché des changes où ils trouveraient en quantités suffisantes les devises nécessaires à l’exploitation de leurs entreprises, un marché immobilier où ils trouveraient les terrains et des locaux nécessaires à des prix inférieurs à ceux du marché parallèle.

Après plus de vingt années de transition, force est de constater qu’aucun de ces mécanismes universels n’est aujourd’hui disponible. C’est pourtant sur la résolution de ces problèmes économiques qu’était surtout attendu Abdelaziz Bouteflika tout au long de ses trois investitures.

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