Allemagne: un scandale révèle la gestion erratique des demandes d’asile

Comment un officier allemand a-t-il pu se faire passer pour un réfugié syrien? Le scandale qui éclabousse la Bundeswehr jette une lumière crue sur la gestion erratique des demandes d’asile dans le pays depuis l’afflux de migrants.

Franco Albrecht, lieutenant aujourd’hui sous les verrous, a réussi à faire croire qu’il était un réfugié syrien fuyant la guerre et obtenu à ce titre en 2016 un droit de séjour d’un an ainsi qu’une allocation mensuelle de 409 euros.

Pourtant le militaire de 28 ans, soupçonné d’avoir avec cette couverture préparé un attentat contre des personnalités de gauche ou des étrangers, ne parlait pas l’arabe lors de son audition devant l’administration chargée de sa demande d’asile. Et il s’est présenté sous l’identité étrange de David Benjamin en prétendant appartenir à une minorité française de Syrie.

Cette rocambolesque affaire ravive des questions embarrassantes sur la gestion de plus d’un million de dossiers de demandes d’asile depuis l’afflux de 2015/2016, alors que les autorités allemandes avaient promis de scruter avec sévérité les dossiers face aux fraudeurs et à la menace jihadiste.

Des ONG et juristes tirent depuis plusieurs mois la sonnette d’alarme. Ils dénoncent notamment un personnel sous qualifié, des interprètes incompétents et un chaos administratif qui peuvent avoir des conséquences graves pour des populations vulnérables.

Avec les arrivées massives de migrants, l’Office fédéral des migrations et des réfugiés (BAMF) s’est retrouvé face à une tache colossale. En quelques mois, cette administration chargée d’auditionner les requérants et de statuer sur leur demande a dû recruter à tout-va pour passer de 3.000 employés à 7.300.

Des contrôleurs de gestion, des géographes et même des soldats ont été engagés. Leur formation interne a été réduite à la portion congrue: de 14 semaines à 10 jours parfois.

"Seule la quantité compte encore et non plus la qualité" quand on veut statuer sur un million de demandes d’asile en un an, dénonce Sebastian Ludwig de l’organisation sociale de l’Eglise protestante (Diakonie).

Fin 2016, une montagne de 450.000 dossiers non traités s’empilait sur les bureaux du BAMF.

Résultat: certains réfugiés attendent près d’un an avant d’être fixé sur leur sort. D’autres, convoqués par le BAMF, patientent des heures durant pour passer leur entretien individuel avant d’être renvoyés chez eux sans avoir été entendus, faute de temps.

Les interprètes, recrutés en masse et faiblement rémunérés, sont rarement des professionnels. Dans certains cas, ils connaissent à peine la langue qu’ils sont censé traduire.

"De plus en plus souvent, des gens décident (d’accorder l’asile ou non) alors qu’ils n’y connaissent rien. Ils ne savent pas le b.a-b.a du droit d’asile", s’insurge un avocat munichois qui défend des réfugiés depuis des décennies, Hubert Heinhold, dans l’hebdomadaire Die Zeit.

Réfugié à Berlin, Mohamed Homad, un Syrien d’Alep, a eu la mauvaise surprise fin octobre 2016 de recevoir deux décisions concernant sa demande.

Dans le premier courrier, il s’est vu accorder le statut de réfugié, soit un permis de séjour de trois ans et le droit au regroupement familial. Dans le deuxième, expédié quelques jours plus tard, il ne bénéficie en revanche que d’une protection a minima et ne peut pas faire venir sa famille.

L’administration a par la suite assuré que le premier courrier n’était… qu’un brouillon, selon l’avocate de ce Syrien.

L’ONG Pro Asyl s’insurge également contre certaines pratiques d’une administration sous pression. Ainsi, les fonctionnaires qui examinent les dossiers des migrants ne sont pas ceux qui les ont auditionnés.

"L’impression personnelle est capitale pour une prendre la bonne décision car dans une procédure d’asile, c’est la crédibilité du demandeur d’asile qui compte" quand le plus souvent il ne peut pas apporter les preuves des persécutions subies, explique Pro Asyl dans un long rapport.

Le BAMF a promis de revenir sur cette pratique très critiquée.

Mais "nous plaçons une grande responsabilité dans chaque décision concernant une demande d’asile", se défend sa dirigeante, Jutta Cordt, "nous donnons aux gens le temps dont ils ont besoin pour expliquer en détail les raisons de leur fuite".

afp

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