Algérie : l’étau se resserre sur la presse et les associations

Dans un contexte économique extrêmement difficile et à moins de deux ans de l’élection présidentielle, la liberté d’expression et d’information en Algérie est constamment remise en cause par le pouvoir.

L’Algérie a célébré dimanche 22 octobre la Journée nationale de la presse. L’agence de presse officielle du pays a diffusé, la veille, un message du président Abdelaziz Bouteflika. Ce dernier a « exhorté » la presse algérienne « à être au service des intérêts suprêmes de notre patrie en contribuant à l’éclaircissement des faits, en émettant des critiques objectives sur les insuffisances tout en œuvrant à la promotion de l’image de l’Algérie à travers le monde ».

Cet appel lancé par le chef de l’État à la presse nationale intervient dans un contexte marqué par des entraves à la liberté d’expression et d’information qui se multiplient depuis quelques mois. Dernier fait en date, le blocage du site d’information, Tout sur l’Algérie (TSA) par l’opérateur public de télécommunications depuis le 5 octobre. Ce média francophone, qui est le premier sur Internet en Algérie, n’est plus accessible via Algérie Télécom ou le réseau public Mobilis. Deux ministres se sont exprimés sur le sujet sans pour autant donner des explications. « Le ministère n’est pas concerné. Mon département n’a exercé aucune censure », a déclaré dimanche le ministre de la Communication lors d’un forum avant d’ajouter : « Vous (TSA) êtes à même de connaître les raisons de ce que vous appelez blocage. Communiquez vous-mêmes sur les raisons que vous connaissez. La question et la réponse sont chez vous. »
La direction du journal évoque une « censure non assumée ». « On soupçonne une forme de censure que le gouvernement ne veut pas assumer. Pour l’instant, on n’a pas reçu d’explications de la part d’Algérie Télécom ou du gouvernement », a déclaré Hamid Guemache, directeur du journal lors d’une émission sur Radio M. D’autres médias électroniques ont depuis exprimé leur inquiétude. Dans un communiqué commun, il ont appelé à lever la censure de TSA.

Internet fait peur…

Pourquoi bloquer un journal électronique ? En réalité, la révolution des moyens de communication fait encore peur au pouvoir algérien. Cette peur a été exprimée clairement, vendredi 20 octobre, par Mohamed Bessedik, ambassadeur adjoint de l’Algérie auprès de l’ONU, lors des débats au sein de la quatrième commission chargée des questions politiques spéciales et de la décolonisation.
Le diplomate algérien s’est dit « gravement préoccupé par le risque de politisation de l’information publique et la possible utilisation inappropriée des technologies de l’information et des communications pour interférer dans les affaires intérieures des États souverains ». Saluant « l’attention accordée par le département de l’information à l’utilisation des médias sociaux », M. Bessedik a souligné la « nécessité de continuer à utiliser les médias traditionnels ».

La déclaration de l’ambassadeur rappelle le message du président Bouteflika en octobre 2016 dans lequel il avait indiqué que la presse électronique constitue « un défi pour l’Algérie tout entière du fait qu’elle (la presse électronique, NDLR) provient souvent de pays étrangers et permet de diffuser des insinuations calomnieuses et injurieuses, de semer les idées subversives, voire de s’attaquer ouvertement et sans aucun scrupule, à notre peuple et à notre pays ».

Les condamnations des blogueurs à des peines de prison pour « diffamation » ou « outrage au président » ou à des « corps constitués » témoignent, elles aussi, de cette méfiance des autorités par rapport à Internet qui semble constituer, pour elles, une « menace » difficilement contrôlable. En 2016, Mohamed Tamalt, blogueur et journaliste a été condamné, à deux ans de prison pour « outrage envers le président et les institutions publiques » à la suite de ses publications sur Facebook. Il est décédé des suites d’une longue grève de la faim.

Des journaux asphyxiés

Les titres de la presse écrite papier ne sont pas épargnés. Alors que certains sont étouffés par leurs dettes auprès des imprimeries de l’État, d’autres dont les ventes sont en forte baisse ont longtemps dénoncé le chantage à la publicité exercé par le pouvoir avant de rentrer plus au moins dans les rangs. « Les responsables du journal m’ont clairement demandé de ne pas écrire sur certains sujets politiques », affirme un journaliste d’un quotidien autrefois connu pour sa liberté de ton.

Dans le classement de la liberté de la presse de Reporters sans frontières publié en avril dernier, l’Algérie a perdu cinq places par rapport à 2016. « La liberté de la presse s’est fortement érodée dans le pays. Les sujets tabous – santé du chef de l’État, avoirs des dirigeants algériens, corruption… – restent nombreux et l’étranglement économique des titres indépendants se poursuit », avait noté l’organisation.
En août, le Monde diplomatique était introuvable dans les kiosques. Dans son édition d’octobre, le mensuel revient sur cette censure. « Contrairement à celui de juillet et à celui de septembre, le numéro d’août du Monde diplomatique n’a pas été diffusé en Algérie. Il comportait une enquête de deux pages sur les massacres de civils commis dans les années 1990 (…) », écrit le Monde diplomatique qui ajoute n’avoir obtenu aucune explication des autorités algériennes.

Mais les médias nationaux ou étrangers ne sont cependant pas les seules victimes de ce quadrillage du champ des libertés individuelles et collectives que plusieurs organisations de la société civile subissent et dénoncent. Dans son rapport sur les droits de l’homme, l’Union européenne (UE) a estimé que « l’exercice de certains des droits [fondamentaux] (notamment la liberté de réunion et la liberté d’expression) a continué – parfois – à être entravé dans la pratique ».

Des universitaires exclus du Salon du livre

Durant ce mois d’octobre, deux universitaires ont été exclus des débats organisés dans le cadre du Salon international du livre d’Alger (Sila). L’historien Daho Djerbal et le sociologue Aïssa Kadri ont été « informés par un appel téléphonique de la part d’un membre officiel du comité d’organisation de l’annulation de leur participation ». Interrogé par TSA, le commissaire du Salon du livre avait pleinement assumé cette exclusion en rejetant « toute idée » de « censure intellectuelle ». « Jusqu’à preuve du contraire, le Salon international du livre d’Alger est mis sous le haut patronage du président de la République Abdelaziz Bouteflika. Le président a été démocratiquement élu pour un mandat de cinq ans. À mon avis, quand on n’aime pas une personne, on ne répond pas à son invitation », a répondu Hamidou Messaoudi. Ce dernier faisait allusion à l’appel lancé par des intellectuels dont ces deux universitaires ont lancé pour l’organisation d’une élection présidentielle anticipée vu l’état de santé du président. La Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH) a réagi à cette affaire en dénonçant « le retour de la pensée unique en XXL ».

« Toutes ces dérives vont à l’encontre des libertés collectives et individuelles, des libertés de réunion, de manifestation, de création, d’expression, d’opinion et de culte consacrés par la Constitution et les pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme ratifiés par l’Algérie », a écrit la LADDH dans son communiqué. C’est que l’exclusion des universitaires fait suite à une série d’interdiction de manifestations culturelles notamment à Tizi Ouzou et à Béjaïa. En mai, l’interdiction a touché la conférence d’une romancière. En juillet, d’autres rencontres littéraires du café littéraire d’Aokas à Béjaïa ont été interdites par les autorités locales. Une marche initiée pour dénoncer les interdictions a été violemment dispersée par la police. Des affrontements ont alors éclaté.

Par Amayas Zmirli
Le Point

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