Algérie – Maroc : une tension qui arrange le régime algérien

Rien de mieux qu’une nouvelle tension avec le Maroc pour faire oublier que le pouvoir algerien a si longtemps souffert de la comparaison avec ce voisin encombrant où tout semble être allé très vite. Oui, rien de mieux qu’une nouvelle tension avec le Maroc pour faire oublier que le pouvoir algérien prend son temps pour amorcer les réformes qu’il a promises le 15 avril par la voix du président de la République.

Algérie – Maroc : une tension qui arrange le régime algérien
Alors que s’accélèrent les préparatifs de l’intervention militaire au Mali, une soudaine remontée de la tensión entre le Maroc et l’Algérie secoue, de nouveau, la región du Maghreb. L’automne 2012 devait consacrer la relance de l’Union du Maghreb, selon les belles et généreuses intentions du président tunisien, Moncef Marzouki. Il sera, finalement, celui de la relance de la discorde.
La mauvaise humeur, pour le moins innoportune et fortement curieuse, repose essentiellement, en effet, sur l’exhumation de vieilles querelles et le dépoussièrage de vieux contentieux : l’affaire des “biens marocains en Algérie” et des «biens algériens au Maroc». Aux propos – malvenus – du ministre délégué marocain chargé des affaires étrangères, Youssef Amrani, selon lesquels “le dossier des Marocains expulsés d’Algérie est placé parmi les priorités des questions sociales en suspens” avec le voisin, l’appareil médiatico-politique algérien a tôt fait de riposter rageusement, comme pour rendre le différend irréversible, en accusant le Maroc d’entraver les conventions signées à ce sujet, selon Echoroukonline, le site d’information du quotidien algérien Echorouk.

On y apprend en effet que la majorité des Marocains ayant quitté l’Algérie en 1975, “ne possédaient pas de biens dans le pays, mais ils louaient plutôt des terrains et des immobiliers appartenant au domaine de l’État algérien ou à un tiers”. Et comme pour donner le coup de grâce,Echorouk affrirme, en reprenant le porte-parole du ministère algérien des Affaires étrangères, Amar Belani, ajoute que ce serait plutôt au royaume de verser des dédommagements à près de 14.000 Algériens “spoliés de leurs biens et de leurs terrains”, indemnisations estimées à 20 milliards de dollars.

A cette patate chaude est venue s’ajouter la polémique à propos du dernier discours prononcé vendredi par le roi Mohammed VI du Maroc, à l’occasion du 37e anniversaire de la « marche verte », le mouvement de masse initié par son père Hassan II et qui a permis au Maroc de « récupérer » le Sahara ex-espagnol. Ce discours, qui ne fait pourtant que reprendre de vieilles incantations marocaines, [ Mohammed VI a, une fois de plus, appelé la communauté internationale à “mettre un terme au drame enduré par les séquestrés à Tindouf, à l’intérieur du territoire algérien et réitéré la “détermination du Maroc à ne permettre aucune tergiversation sur le sort du Sahara ], aurait pourtant, si on en croit le quotidien El Watan, «irrité au plus haut point les responsables algériens».
Et revoilà la tension !

Une crise bienvenue

En vérité, elle accomode plus qu’elle n’irrite le régime algérien. Lui qui apparaît, désormais, deux ans après le déclenchement des printemps arabes, comme le dernier bastion autocratique du Maghreb et qui entend le rester, accueille ce rebondissement de la tension comme le prétexte providentiel pour se retirer des engagements qu’il a été obligé de prendre envers l’opinion algérienne et mondiale : engagement de réformes en Algérie ; engagements de renouer avec le voisin marocain et notamment par la réouverture des frontières terrestres ; engagements de relancer l’Union du Maghreb…

Rien de mieux qu’une nouvelle tension avec le Maroc pour faire oublier qu’on a si longtemps souffert de la comparaison avec ce voisin encombrant où tout semble être allé très vite. On se rappelle des propos qu’aurait tenus l’ex-président français Nicolas Sarkozy lors d’un conseil des ministres selon le quotidien français et rapportés par Le Canard enchaîné : «Je suis très satisfait du résultat du référendum au Maroc (du 1er juillet 2011). Plus de 72 % de taux de participation et 94 % de oui. A la lumière de cela, je suis triste pour l’Algérie». Le président américain, de son côté, s’il a félicité” l’Algérie, après la levée de l’état d’urgence la qualifiant de “signe positif”. Obama a, cependant, souligné que les USA sont “impatients de voir les prochaines mesures qui seront prises pour permettre aux Algériens d’exercer pleinement leurs droits universels, dont la liberté d’expression et d’association”. Et, c’est dans cette perspective que les États-Unis continueront à coopérer avec l’Algérie, avait-t-il attesté.

Avant lui, le secrétaire d’État adjoint chargé des Affaires politiques, William Burns, en visite à Alger, s’est exprimé sur les dernières mesures prises par les dirigeants algériens. À l’issue d’une audience que lui a accordée le président Bouteflika, M. Burns a déclaré, le même jour à la presse, qu’il considère comme “très positifs les engagements qui ont été pris de donner plus d’opportunités en ce qui concerne l’emploi, le logement et l’éducation”. Mais il a ajouté que sa visite intervient au moment où “les peuples sont en quête de liberté, de dignité et d’opportunités”, précisant que « la réponse à ces aspirations devrait être “la plus ouverte, la plus sérieuse, la plus claire et le plus tôt possible».
Autrement dit, les Américains attendaient Bouteflika sur le « vrai changement»

Alors oui, rien de mieux qu’une nouvelle tension avec le Maroc pour faire oublier que le pouvoir algérien prend son temps pour amorcer les réformes qu’il a promises le 15 avril par la voix du président de la République. Sur certains points, on assiste même à un recul. C’est notamment le cas de l’ouverture des médias publics à l’opposition. Que devient la révision constitutionnelle ? On est loin d’un vrai changement et d’une volonté de réformer l’ensemble du système politique dans le sens d’une plus grande démocratie, comme l’a promis le pouvoir.

Rien de mieux qu’une nouvelle tension avec le Maroc pour faire oublier, enfin, toutes ces promesses faites aux Américains, à commencer par celle de contribuer à la relance de l’Union du Maghreb où l’on apparaît désormais comme un dinausore, et que l’on a accepté du bout des lèvres la proposition du président tunisien Marzouki d’un sommet de l’UMA qui aurait forcé Bouteflika à s’asseoir aux côtés de pays en "mutation démocratique", avec tout ce que cela suppose de concessions, de contrastes et de faux-semblants.

"La griffe américaine"

Les Américains avaient opposé l’argument incontestable du «coût du non-Maghreb ». Il serait énorme. Le commerce entre Etats d’Afrique du Nord équivaut à 1,3 % de leurs échanges extérieurs, le taux régional le plus bas du monde. Le Département d’Etat travaille sur les études de l’important think thank, l’Institut Peterson, qui s’intéresse aux problèmes économiques internationaux. Il est basé à Washington D.C. L’Institut Peterson (du nom de son président qui n’est autre que le président du Council on Foreign Relations et ancien Secrétaire au Commerce des États-Unis, Peter G.Peterson), jouit de tous les moyens et de toute l’attention des dirigeants américains. Il est dirigé par C. Fred Bergsten, anciennement Secrétaire adjoint aux affaires internationales du Département du Trésor américain. L’Institut a énuméré les avantages dont bénéficieraient les peuples d’une Afrique du Nord dont les frontières seraient ouvertes. Malgré de nombreuses ressources (pétrole, du gaz, des phosphates en abondance, une production agricole variée ), des paysages magnifiques qui attirent des millions de touristes étrangers chaque année, des millions de jeunes continuent d’arriver sur le marché du travail — 50 % d’entre eux sont déjà au chômage. Remédier à ce déferlement exigerait, pendant deux décennies, un rythme de croissance plus élevé que celui de la Chine. Aussi, la perte des deux points de croissance que coûtent les frontières fermées représente un défi. Huit milliards de dollars de capitaux privés fuient la région chaque année et s’ajoutent au stock existant, estimé à 200 milliards de dollars.
Sous la pression US, le régime algérien a alors louvoyé.
L’Algérie ne pouvait plus s’opposer comme avant. Elle avait perdu son arrogance sur le plan diplomatique. Même si elle n’avait pas subi de fortes insurrections populaires, elle a été fortement affaiblie sur le plan interne et externe par les évènements de Tunisie et d’Egypte. Le régime de Bouteflika traînait un gros problème d’image : il s’était vu assimilé aux pouvoirs dictatoriaux du monde arabe et que les évènements l’aient conduit à se justifier puis à faire des concessions, l’avait fortement fragilisé. Bouteflika est apparu comme un président sans grande légitimité (révélations de WikiLeaks sur les fraudes aux élections de 2009), obligé de négocier ses soutiens extérieurs pour rester au pouvoir.
Le mercredi 23 février 2012, lors d’une conférence de presse, Mourad Medelci, ministre des Affaires étrangères, surprend tout le monde et déclare que l’Algérie travaille à accroître ses relations avec "ses amis et frères marocains". Mieux : il annonce que le Maroc et l’Algérie sont convenus d’une initiative politique destinée à renforcer leurs relations bilatérales.

Dans ce discours de nouveau type, le ministre algérien précise que cet accord "permettra à trois ministres de se rendre dans les deux pays en mars prochain pour discuter des moyens nécessaires d’insuffler une nouvelle dynamique aux relations bilatérales dans des domaines sensibles, notamment l’énergie et l’agriculture". Retenons ces précisions, car elles portent la «griffe américaine». Un rapport du service de recherche du Congrès américain qui venait de passer au crible la situation actuelle de l’Algérie, notamment sur le plan politique et énergétique mais aussi sur celui de la politique étrangère et remis le 10 février 2011 à tous les membres et à toutes les commissions du Congrès américain, souligne que l’Algérie est un partenaire important des États Unis en matière de lutte contre le terrorisme, mais que l’instabilité politique et l’absence de démocratie restaient des facteurs fondamentalement inquiétants. Aussi le but stratégique des USA est donc «d’essayer de trouver un équilibre entre l’appréciation de la coopération avec l’Algérie dans la lutte antiterroriste et les encouragements pour une démocratisation plus importante» (dixit le rapport). «Le Département d’État continue d’observer de nombreux problèmes concernant les droits de l’homme, notamment des restrictions sur les libertés de réunion, d’expression et d’association, qui empêchent l’activité des partis politiques et limitent la possibilité pour les citoyens de changer de gouvernement par le vote».

De cela, Bouteflika ne veut pas entendre parler. Le président algérien a certes accepté de partager une partie de la rente pétrolière avec la population, mais il refuse de céder sur le plan politique : pas d’engagement de ne pas briguer un quatrième mandat, refus d’agréer de nouveaux partis politiques, pas d’ouverture du champ médiatique.

C’est pourquoi ce retour de la tension régionale lui permet de replacer la question de "l’honneur national" avant celui des réformes, d’annuler ses promesses d’assister au Sommet de l’UMA et de surseoir à ses engagements concernant le rétablissement des rapports fraternels avec le Maroc. Or, que lisons-nous dans El Watan, au lendemain du discours de Mohamed VI ? Ceci : un haut responsable algérien révèle que l’Algérie était prête à aller jusqu’à la réouverture des frontières comme point d’orgue d’une normalisation totale des relations avec le Maroc. Enumérant point par point les reproches au roi, il lui a, naturellement, imputé la responsabilité de l’impasse : “Nous le disons calmement, sans virulence et loin du ton réquisitorial auquel on nous a habitués, c’est bien le Maroc qui a torpillé le processus de normalisation des relations entre nos deux pays alors que nous étions engagés dans une dynamique constructive visant à assainir nos relations bilatérales."
Providentielle tension !

M. B.

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