Algérie – Abdelaziz Ziari : « Voilà pourquoi je ne suis pas pressé de changer de président »

ENTRETIEN. Cet ancien président de l’Assemblée populaire nationale (APN), plusieurs fois ministre, n’est pas contre un 5e mandat du président Bouteflika. Abdelaziz Ziari s’en explique.

Face aux critiques et mises en garde de l’opposition, les partisans d’Abdelaziz Bouteflika montent au créneau. Certains comme l’actuel secrétaire général du FLN, Djamel Ould Abbès, l’appellent d’ores et déjà à briguer un cinquième mandat. D’autres défendent son bilan et se disent convaincus que l’homme « prendra la bonne décision » à l’approche de l’élection présidentielle de 2019. Parmi ces derniers, Abdelaziz Ziari a répondu aux questions du Point Afrique.

Le Point Afrique : Quatorze personnalités nationales ont adressé une lettre ouverte au président Abdelaziz Bouteflika pour lui demander de renoncer à un cinquième mandat. Vous n’y voyez pas une démarche politique. Pourquoi ?

Abdelaziz Ziari : Cette initiative ressemble à une réaction émotionnelle d’un groupe de personnes plutôt qu’à une démarche politique. Elle traduit en fait l’incapacité au recours aux voies institutionnelles et constitutionnelles pour faire des propositions positives en vue de conforter l’avenir du pays s’ils ont des craintes pour son futur. Car après tout, c’est au peuple algérien de décider.

Dans cette lettre, ces personnalités font un constat. Selon eux, l’état de santé du président est « dramatique ». Un autre mandat serait un « calvaire pour lui et pour le pays »…

Je comprends leur préoccupation qui ne me paraît pas avoir un caractère humanitaire, mais elle est effectivement partagée par beaucoup d’Algériens. Aussi, il y a des institutions en Algérie dont la mission est de faire respecter la légalité constitutionnelle. Et au moment venu, le président qui a assumé son mandat actuel dans des conditions normales, étant donné les séquelles d’AVC, aura à prendre la décision en fonction de ses possibilités et de ses capacités et en concertation avec d’autres responsables qui ont certainement eux aussi à cœur le sort de leur pays.

Quelle est leur préoccupation selon vous ?

En fait, cet appel traduit la faiblesse et le désarroi d’une classe politique dans l’opposition qui n’arrive pas à s’ancrer dans le peuple et qui pense compenser ce déficit par le recours aux médias.

L’état de santé du président ne pose pas de problème ? Pourrait-il se représenter en 2019 ?

En ce qui concerne son état de santé, je suis bien placé en tant que professeur de médecine pour savoir que dans ce type de pathologie, il y a de grandes variations d’un malade à un autre. Aussi, seul le médecin traitant est en mesure de donner son avis en particulier sur les données cognitives, et l’intéressé lui-même, bien sûr. C’est cela qui déterminera le président à envisager ou pas un cinquième mandat. Et personnellement, je lui fais confiance pour prendre la bonne décision.

À moins d’une année du quatrième mandat, les partisans comme les opposants du président Bouteflika font son bilan. Est-ce qu’il est positif selon vous ?

Pour moi, il est évident que ce bilan est positif et de façon objective. Je ne vais pas rentrer dans la comptabilité. Je reste dans les grands ensembles : stabilité sociale et politique, investissements publics massifs dans les infrastructures à tous les niveaux, transferts sociaux parmi les plus élevés, quasi-absence de dette extérieure, diminution du chômage. Il y a eu des progrès très importants concernant les droits des femmes, y compris dans le domaine politique. Je soulignerai également la reconnaissance du tamazight comme langue nationale et officielle, décision que seul Bouteflika pouvait faire passer sans coup férir malgré une forte opposition sournoise dans et hors du système. Je vous ai donné un bilan non exhaustif mais conséquent. Par sa politique de réconciliation nationale, il a coupé le terrorisme de tout environnement populaire, et permettant ainsi à l’ANP (l’Armée nationale populaire) et aux services de sécurité de retourner à leurs missions de défense nationale. Vous remarquerez que l’on n’utilise plus le terme de « décideurs ». Cela signifie qu’il n’y a plus d’autre décideur que celui que la Constitution a habilité.

Mais sur le plan économique, la chute du prix du pétrole rappelle la forte dépendance de l’économie algérienne aux hydrocarbures. Frappée par la crise, l’Algérie a eu recours à la planche à billets…

Il est vrai que l’opposition souligne plutôt les insuffisances ou les manques, relatifs en particulier à la dépendance des hydrocarbures, à l’archaïsme de notre économie, ou à la lutte contre la corruption endémique et la criminalité fiscale. Beaucoup restent à faire et j’espère que cela sera l’objet du prochain mandat. Mais cela n’enlève rien à la qualité et à l’importance de ce qui a été déjà réalisé. Je pense que modernisation de l’économie, débureaucratisation et décentralisation restent à achever. Je suis personnellement admiratif de ce que l’on a appelé le miracle malaisien. Ce fut une telle réussite économique qu’on a rappelé le Dr Mahatir à l’âge de 92 ans puisque son leadership est à l’origine de cette transformation de son pays.

Soutiendrez-vous un cinquième mandat ?

Je soutiendrai toute position qu’il prendra sur l’éventualité ou pas d’un cinquième mandat. Mon engagement avec le président est sans faille. En réalité, la vraie question, c’est qui viendra après Bouteflika et comment se feraient les candidatures ? C’est la question de l’avenir d’un système politico-économique à réformer profondément car arrivé en fin de cycle. La règle de cooptation classique était acceptée et acceptable car elle concernait des responsables patriotes issus de la guerre de libération nationale et dotée d’une légitimité historique incontestable. Cela ne sera plus le cas dans le futur. Si le système en vigueur n’est pas réformé, le successeur s’il est jeune voudra rester trente ans sans avoir ni l’envergure ni le charisme de Bouteflika. Voilà pourquoi je ne suis pas pressé de changer de président.

Des personnalités comme la constitutionnaliste Fatiha Benabbou craignent de voir l’armée intervenir pour arbitrer en cas de défaillance présidentielle. Est-ce possible selon vous ?

J’ignore si cette dame que vous citez a des informations personnelles. Mais je ne vois rien qui puisse amener l’armée à sortir du cadre que la Constitution lui a tracé. Je pense qu’il faut éviter de fantasmer sur des hypothèses médiatiques.

PROPOS RECUEILLIS PAR HADJER GUENANFA
Le Point

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