Agriculture et pêche au Maroc: de puissants révélateurs de l’importance de la relation de bon voisinage par-delà la Méditerranée et le Sahel

Le secteur de l’agroalimentaire fait du Royaume du Maroc un nouveau pôle d’attractivité, tant pour l’Europe que pour l’Afrique.

Par Emmanuel Dupuy, président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE)

Le Maroc, dont le premier partenaire commercial reste la France, peut ainsi espérer — selon les prévisions de la BERD — une croissance annuelle de 3,8 % en 2020. Devenu une véritable « puissance verte », le pays a entamé, durant la dernière décennie, sa transition agricole, en même temps que s’amorçait sa transition démographique.

Maroc bleu et Maroc vert : deux plans révolutionnaires

Cette ambitieuse révolution administrative et institutionnelle ardemment voulue par Mohamed VI, allant de pair avec une décentralisation approfondie et une nouvelle constitution en juillet 2011, doit beaucoup à son ministre de l’Agriculture, dont la longévité unique au sein du Gouvernement confirme par ailleurs l’importance.

Le discours du Trône, prévu le 30 juillet prochain, qui revêt, en cette année de « noces de porcelaine » une symbolique particulière, vingt ans après la transmission du pouvoir d’Hassan II à son fils Mohamed VI, devrait ainsi logiquement consacrer les deux projets phares mis en place par le ministre de l’Agriculture, de la pêche maritime, du développement durable et des eaux et forêts, Aziz Akhannouch.

D’une part, le « plan Maroc Bleu » (officiellement Halieutis) — lancé en 2009 — eu égard aux formidables richesses halieutiques que lui procurent ses milliers de kilomètres de côtes atlantiques et méditerranéennes — et d’autre part, le « Maroc vert », lancé en 2008. Car il s’agit, avant tout, d’une véritable réussite économique autant que sociale. Le Plan « Maroc Vert » c’est 40 % de l’emploi total du pays, 20 % de son PIB et 5,25 % d’augmentation en moyenne sur dix ans du PIB agricole.

L’on peut ainsi constater l’émergence d’une solide économie verte dans le royaume chérifien, forte depuis 2017 de la Stratégie Nationale de Développement Durable (SNDD) et — depuis 2005 — de l’Initiative Nationale pour le Développement Humain (INDH). Ces deux faces d’une même pièce, liant ces projets lancés sous l’égide de l’actuel ministre de l’Agriculture, font du royaume chérifien, un nouveau pôle d’attractivité, tant pour l’Europe que pour l’Afrique ; en quelque sorte, un levier de développement national et international.

Profondeur stratégique africaine et coopération européenne

C’est d’autant plus vrai que le Brexit offre à l’UE une occasion unique pour mieux défendre la filière halieutique, face aux risques de démantèlement de la politique commune de la pêche, et ce afin de reconstruire, enfin, une gouvernance maritime européenne, attendue de longue date. Pour y parvenir, l’accord de pêche signé en juillet 2018 et celui portant sur l’agriculture scellé entre l’UE et le Maroc en juin 2018, en sont les pièces maîtresses.

Avec ses 3416 km de côtes, de Tanger à Dakhla, du Nord au Sud, sur sa façade atlantique et ses 512 km en Méditerranée, le secteur de la pêche revêt, au Maroc – comme du reste, pour beaucoup de pays d’Afrique de l’Ouest, baignés par les eaux poissonneuses de l’Atlantique – un caractère stratégique, comme en atteste la participation active du Maroc au sein de la Commission ministérielle sur la coopération halieutique entre les États africains riverains de l’Océan Atlantique (COMHAFAT) regroupant 22 États membres.

Ce sont ainsi ses côtes et les 700 000 km2 de Zones Économiques Exclusives (ZEE), qui étaient régulièrement pillées par les navires-usines chinois, japonais, coréens, mais qui contribuent — peu ou prou — à 2 % du PIB du Maroc, qui doivent être protégées.

Ces réalités géoéconomiques font du Maroc, un des piliers de la gouvernance maritime. La mise en place, il y a maintenant dix ans de la « stratégie Halieutis » dont l’objectif était d’assurer avant tout la bonne gouvernance des richesses halieutiques de plus en plus convoitées du Maroc semble avoir porté ses fruits.

La pêche est aussi devenue un facteur déterminant dans le renforcement du pilier sud de la politique européenne du voisinage. C’est, du moins, ce que l’on peut retenir d’une étude indépendante diligentée récemment, à l’impulsion de la Direction générale MARE de la Commission européenne et confiée à une équipe d’experts français spécialistes des questions maritimes : Benoit Caillart, Christophe Breuil, Vincent Defaux et Christelle Le Grand.

On y découvre ainsi que l’UE importe à hauteur de 1,2 milliard d’euros de produits de la pêche provenant du Maroc, tandis que Bruxelles n’a exporté que 135 millions d’euros, en 2016. Ce sont ainsi plus de 80 000 tonnes de poissons que les flottes européennes pêchent au large des côtes marocaines, chaque année, pour un bénéfice estimé à 80 millions d’euros.

L’étude confirme également que cette stratégie du « Maroc bleu » est un des atouts de la coopération eurafricaine, via la Méditerranée grâce à la « profondeur stratégique » africaine du Maroc. Il en fut question à l’occasion de la Conférence de haut niveau, tenue à Malte, en mars 2017, qui déboucha sur la déclaration « MedFish4Ever », ratifiée par 16 pays riverains de la Méditerranée.

En effet, c’est bel et bien la manière dont la relation entre l’Union européenne et le Maroc s’est fortifiée, depuis l’accord d’association signé en 1996 et entré en vigueur en 2000, qui semble désormais en péril. C’est précisément, ce qui a motivé la Commission européenne à proposer un nouvel accord sur la pêche, après celui sur l’agriculture.

L’ensemble de ses réalisations vient ainsi confirmer la prégnance du renforcement de la résilience des écosystèmes et des ressources marines vivantes, confirmant que la pêche et l’aquaculture demeurent au cœur de la réalisation de l’objectif de développement durable 14 (ODD14) parmi ceux fixés par l’ONU, à l’horizon 2030

Parallèlement, les retombées économiques et sociales des projets structurants au niveau agricole (le Maroc vert) mis en place depuis l’arrivée au ministère de l’Agriculture, d’Aziz Akhannouch en octobre 2007, ont été amplifiés depuis la conclusion de la COP 22 de Marrakech, en novembre 2016.

L’étude d’impact de l’accord sur la pêche a, en effet, révélé, que 75 % de la population des Provinces du Sud reconnaissait que cet accord UE/Maroc, avait généré la création de plusieurs milliers d’emplois et largement contribué à l’amélioration des conditions de vie.

Bâtir une région intégrée

De fait, beaucoup, de part et d’autre de la Méditerranée, estiment que la coopération avec le Maroc est essentielle. Le Rapport Mediterra 2018 présenté récemment sous la double égide de Science Po et du Centre International des hautes Etudes Agronomiques Méditerranéennes (CIHEAM) mettant en exergue le lien entre migrations et agriculture ne dit pas autre chose !

L’enjeu est de taille : celui de bâtir une région intégrée à échelle mondiale, liant Europe-Méditerranée-Afrique, dans laquelle chaque partie retrouve sa centralité et sa singularité tout en n’oubliant pas l’importance du sens collectif. L’économie mondiale et la globalisation démontrent d’ailleurs que seules les régions mondiales intégrées telles que l’Alena et le Mercosur, sur le continent américain, ou l’Asean, en Asie, peuvent prétendre à un développement équilibré et une croissance durable et solidaire entre ses membres.

Sachons ainsi, en assurer la pérennité aussi sur le continent africain, dans sa partie occidentale, en renforçant et élargissant la CEDEAO au Maroc, ainsi qu’en y assurant le retour de la Mauritanie, qui l’avait quitté en 2000.

Gageons que cet espace économique, fort d’une population de 300 millions d’habitants répartie sur 15 états, d’une superficie de 6 millions de Km2 et doté d’un PIB cumulé de 630 milliards de dollars, faisant de la CEDEAO la 21e économie mondiale puisse profiter de ce que le Maroc apporterait. En effet, en intégrant le Maroc, la CER ouest-africaine gagnerait 115 milliards de dollars, devenant, avec un PIB de près de 745 milliards de dollars, la 16e économie mondiale.

Et si le marché africain du Maroc ne dépasse guère que 6 % de ses exportations, il est fortement impacté par les 65 % des investissements marocains « ciblés » en direction de la CEDEAO. Le roi Mohamed VI, après avoir ramené le Maroc au sein de l’institution continentale, pourrait ainsi s’enorgueillir de cet acquis, que beaucoup envisagent désormais avec davantage de confiance, et ce, au sein d’une nouvelle dynamique Sud-Sud.

L’Afrique aurait enfin son rond de serviette au sein du G20 !

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