A Istanbul, Erdogan use de l’épouvantail
Les Turcs, marqués par les coups d’Etat, ne peuvent envisager s’appuyer sur l’armée pour contrer l’AKP.
«Inspiration». Pour les autorités turques, c’est un incontestable coup dur. En novembre, Mohamed Morsi avait été l’invité d’honneur du congrès de l’AKP, le parti au pouvoir depuis 2002 qui se revendique comme «une source d’inspiration» aussi bien pour les Frères musulmans égyptiens que pour Ennahda en Tunisie. Un modèle censé mêler islam, démocratie et croissance économique. Le président démissionné et son parti représentaient aussi pour Ankara le principal allié dans le nouveau grand jeu régional pour créer un pôle sunnite contre «l’axe chiite» en rivalité ouverte avec l’Arabie Saoudite. L’opinion publique et les commentateurs ne se sont pas privés de souligner des similitudes entre les deux révoltes, même si la situation dans ces pays n’est pas comparable. En dix ans de pouvoir islamo-conservateur, le revenu moyen de la population turque a presque triplé. Un succès qui explique les trois victoires électorales successives du parti d’Erdogan qui a, à chaque fois, amélioré son résultat. Mais il est toujours plus autoritaire vis-à-vis de ceux qui ne partagent pas sa vision conservatrice.
Démission. «Au-delà des différences, il y a des leçons communes à tirer de ces événements. La plus importante est qu’il faut étendre la démocratie et la liberté, élargir le consensus social et ne pas s’obstiner en une gouvernance arbitraire et orgueilleuse», souligne Cengiz Candar, éditorialiste du quotidien libéral de gauche Radikal. Si la contestation contre l’AKP continue sous diverses formes, personne ne veut d’une quelconque intervention de l’armée, qui renverrait le pays des années en arrière.
Par trois fois (1960, 1971, 1980), estimant la République en danger, les militaires ont fait un coup d’Etat. En février 1997, ils ont aussi poussé à la démission le premier Premier ministre islamiste, Necmettin Erbakan, qui avait été le mentor d’Erdogan. Mais dans le cadre du processus européen, l’armée a été mise hors du jeu politique. «Le Premier ministre surjoue délibérément sur le coup d’Etat militaire égyptien afin de ressouder le parti autour de lui, et faire taire toute dissonance sur les erreurs des dernières semaines», relève Menderes Cinar, politologue et spécialiste de l’AKP, soulignant que cela permet aussi à Erdogan d’accréditer la thèse martelée avant même les événements du Caire d’un «complot» contre le gouvernement où se mêleraient jeunes manipulés, élites kémalistes et soutien extérieurs.