Vigon. Papa soul

Sensation du télé-crochet «The Voice», ce chanteur originaire du Maroc a déjà connu son heure de gloire dans les années 60.

Vigon. Papa soul
Vigon dans un jeu télé sur TF1 ? Vigon, le soul man du Paris branché des années 60 ? Au début, on n’y a pas cru en découvrant sa photo en couverture d’un magazine télé. Et pourtant, il est bien là chaque samedi sous les néons clignotants de The Voice, le succès printanier de la première chaîne. Une sorte de radio-crochet modernisé où Abdelghafour Mouhsine – alias Vigon -, 66 ans, s’est présenté de lui-même. «C’est sûr, me retrouver à passer des auditions avec des jeunes de 16 ans, après cinquante ans de carrière, c’est déstabilisant», expliquait-il la semaine dernière dans son appartement du XIIIe arrondissement parisien.

C’est un petit logement sobre, où la seule trace visible de ses succès passés tient sur un coin de mur : des affiches de spectacles, des photos de lui en jeune homme élancé au regard confiant, posant avec Mick Jagger ou Mireille Mathieu. A côté, il y a aussi des clichés en noir et blanc pris pendant les concerts frénétiques de celui qui fut pendant quelques années un des meilleurs chanteurs rock de la France et du Maroc réunis. Vigon avait le feu.

Fidèle à ces images d’une autre époque, Vigon reçoit vêtu de noir : très Ray Charles avec ses Ray Ban aux verres semi-fumés, sa chemise nickel et son pantalon droit. Il a gardé un corps de gamin affûté et une petite banane gominée se dessine dans ses cheveux. Il porte beau une certaine idée de la classe rock’n’roll, un suranné au naturel qui tranche avec le teint chirurgie – crème autobronzante des artistes de la génération yéyé qui ont survécu. Vigon et sa belle voix éraillée sont passés par d’autres routes, mais il n’est aujourd’hui ni une idole pleurnichant sur son passé déchu ni un revanchard forcené. «Normalement on fait une émission comme The Voice pour avoir une carrière. Moi je m’en fous, la carrière je l’ai déjà eue.» Pourquoi alors s’embêter à aller amuser la galerie à une heure de grande écoute ?

Vigon a lâché le truc il y a trois semaines, tandis que la production appuyait bien sur l’image pour nous dire que ça allait faire mal. Abdelghafour Mouhsine a donc perdu sa plus jeune fille, Sofia, l’an dernier. Une crise cardiaque l’a emportée à 25 ans, quatre mois avant qu’à son tour elle publie son premier disque, le Marché des insolites. La famille a voulu que l’album sorte malgré tout, et depuis Vigon fait tout pour qu’on l’entende. «C’est Sofia qui devait prendre la relève», glisse sa femme Maryse. Pour essayer de «s’habituer», Vigon circonscrit la «catastrophe» en la noyant dans la chanson. C’est son «devoir de père et d’artiste», dit-il. «Avant, j’étais heureux, maintenant je ne suis bien que lorsque je chante.»

Tout n’a pourtant pas été des plus faciles, «avant». Vigon est né à Rabat en 1945, dans une famille de dix enfants. Le père est vendeur de légumes, la vie sans folies mais «belle». Un jour, en classe de français, le jeune homme prononce «vigon» pour «wagon». Marrade générale, le surnom reste : même sa femme l’appelle comme ça aujourd’hui. Le rock lui tombe dessus dans une «surprise-partie» et il se retrouve à chanter chaque samedi sur la base américaine de Kénitra, ex Port-Lyautey. «On venait jouer pour les troufions et au passage entendre les derniers disques, qu’ils recevaient une semaine à peine après leur sortie aux Etats-Unis.» Vigon, qui dit «ne savoir que lire et compter», a tout de même appris l’anglais seul, entre les cageots de courgettes entassés dans l’échoppe familiale. Il est un temps coursier à vélo dans les rues de Rabat, puis décide de partir pour la France en 1964. «Tous les amis y allaient, j’ai voulu les suivre et tenter ma chance.» Comme si l’aventure était une évidence.

Un jour de septembre, il débarque donc à Orly comme touriste – avec «200 francs en poche» (30 euros) – et s’installe chez des amis à Montreuil, dans la banlieue est de Paris. Deux mois plus tard, la confiance en bandoulière, il se pointe au Golf-Drouot avec un exemplaire de la revue Cinémonde sous le bras, qui consacrait chacune de ses quatrième page de couverture au premier club rock de la capitale. Il y chantera souvent avant de migrer au Bus Palladium, où «les hippies venaient danser et les snobinards regarder les hippies danser». Ces belles années s’achèvent «du jour au lendemain» à la fin des sixties, avec un goût d’inachevé qu’il chasse aujourd’hui d’un «j’en ai bien profité». Fin d’une époque. Ensuite, c’est «la galère» : au mieux, il chante sur le paquebot France ou assure les premières parties de Johnny Hallyday.

«Je suis reparti au Maroc en 1978. Un ami m’avait proposé de chanter tous les soirs dans son hôtel. Ça devait durer deux semaines, j’y suis resté vingt-trois ans.» Pourquoi ce mouvement de repli, ce besoin subit de suspendre sa course ? Vigon répond «vie de famille». Après une fille en 1969, née d’une relation sans lendemain en Belgique («les risques du métier de chanteur»), Vigon a un fils en 1978 avec sa femme Maryse, avant la naissance de Sofia en 1986. «Il fallait que je me pose un peu. Toute ma vie fonctionne comme ça, tout se fait tout seul. Je n’ai jamais rien programmé, je suis mon destin et pendant longtemps le bon Dieu ne m’a pas laissé tomber.» Même fleuve tranquille en sens inverse : la famille se relocalise à Paris en 2000 pour les études des enfants, et Vigon reprend ses tours de chant là où il peut avec l’aide des amis fidèles, dont fait partie Michel Jonasz.

L’histoire aurait pu s’arrêter là. Vigon aurait profité tant bien que mal de sa «retraite misérable» d’intermittent du spectacle, et aurait de toute façon continué à chanter puisqu’il dit ne «savoir faire que ça». Mais désormais, rien ne sera plus jamais comme avant dans l’appartement du XIIIe. Vigon a décidé de transformer le deuil de la famille en aventure télévisée parce qu’en ce début de siècle, c’est là qu’il faut être pour être vu. N’a-t-il pas peur de se faire avaler par la machine à spectacle ? Christine, une «amie de vingt-cinq ans», ne se pose même pas la question : «S’il se sent exploité, il se tirera comme il est venu et disparaîtra dans la nature. Ce n’est pas son univers, mais il a trop connu le show-biz pour se faire avoir comme un bleu. Toutefois, The Voice c’est un pansement : ça l’a sauvé à un moment où il n’avait plus envie de rien.»

D’émission en émission, on a vu le vétéran de l’émission prendre de plus en plus de plaisir, et le chanteur pro reprendre le dessus sur le père encore sous le choc. Désormais, Vigon chante aussi un peu pour lui, pour grappiller un peu de la gloire qui lui a échappé. «En une chanson sur TF1, ma vie a plus changé qu’en cinquante ans de carrière, commente-t-il avec un sourire rassurant. Maintenant on me reconnaît dans la rue, les gens m’arrêtent pour me demander des autographes. C’est quand même dingue, après tout ce que j’ai vécu.» Comme le dit la chanson, Papa is a rolling stone.

Vigon en 7 dates

13 juillet 1945

Naissance à Rabat, au Maroc.

1964

Arrive en France, chante au Golf-Drouot.

1965

Bama Lama Bama Loo, premier 45 tours.

1978

Repart au Maroc.

2008

The End of Vigon,réédition de ses chansons.

2011

Décès de sa fille Sofia.

2012

Participe à The Voice sur TF1.

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