Victoire en demi teinte d’Erdogan en Turquie

Malgré l’échec du putsch en Turquie qui avait failli changer la physionomie du pouvoir à Ankara, l’islamiste Tayeb Erdogan n’est pas sorti indemne de cette épreuve. Outre l’immense opération de purge à laquelle il est obligé de se livrer pour punir ses adversaires au sein du régime turc, Le président turc Recep Tayyip Erdogan, contrairement aux images de victoire que sa communication tente de produire, sort affaibli de cette épreuve.

Par Mustapha Tossa

Il est vrai qu’après un délai d’attente relativement court, les instances européennes, prises de court par l’accélération subite des événements, ont condamné ce coup de force. L’Europe avait montré son attachement à l’ordre constitutionnel et démocratique et au respect de la volonté des urnes. La formulation des prises de position européennes, loin d’exprimer un soutien pour la personne d’Erdogan, s’est attachée à soutenir le processus électoral. Selon l’approche de l’Union européenne, le règlement des conflits et de tensions au sein de la société turque doit passer par les urnes et non par la force. D’ailleurs, le ministre français des affairée étrangères Jean Marc Ayrault a été d’une rare clarté diplomatique: "Nous voulons que l’Etat de droit fonctionne pleinement en Turquie, ce n’est pas un chèque en blanc à Monsieur Erdogan (…) Des questions se posent (sur la fiabilité de la Turquie). Il y a une part de fiabilité et une part de suspicion."

Il est vrai qu’Erdogan n’est pas en odeur de sainteté en Europe. Malgré la signature d’un accord historique entre Bruxelles et Ankara sur la crise des réfugiés, il s’est dégagé un soupçon de chantage exercé par Erdogan à l’encontre des institutions européennes: "où vous cédez à mes demandes où je lâche les vannes des réfugiés syriens qui vont à terme déstabiliser vos équilibres sociaux, économiques et sécuritaires" semblait dire le président turc. Erdogan était aussi sous le faisceau de l’énorme soupçon de pratiquer une politique grise à l’encontre de l’organisation terroriste comme Daesh, préférant concentrer sa stratégie militaire à lutter contre le séparatisme kurde plutôt que de participer à l’éradication des structures de l’organisation de l’État islamique.

Même dans ses prochaines relations avec l’UE, Erdogan perdra en assurance et en crédibilité. Dans l’absolu, sa gouvernance autoritaire, ses choix politiques désastreux dans la lutte contre le terrorisme, ont réveillé les démons putschistes de la Turquie dont l’histoire récente est jalonnée d’interventions de l’armée dans l’espace politique. Il est vrai que la presse internationale avait titré sur la capacité d’Erdogan à dompter l’armée, mais le putsch en soi est révélateur de ce malaise enfoui qui a fini par surgir de manière dramatique et sanglante. Contrairement à ce que croient les laudateurs d’Erdogan, cela pèsera lourdement sur son leadership en interne et sa crédibilité à l’international. Erdogan était régulièrement cité comme l’exemple d’une belle synthèse entre une posture islamisante et une ouverture sur la modernité.

Les réactions arabes à l’égard de ce putsch des militaires turques sont intéressantes à noter et à analyser. Deux pays n’ont pas réussi à cacher leur joie de voir tomber Erdogan. La Syrie d’abord. Le président turc est accusé par le régime syrien d’être une pièce maîtresse dans la stratégie internationale qui vise son démantèlement. Erdogan est perçu par Bachar al Assad comme son pire détracteur. L’explosion de joie à Damas qui a salué le coup de force militaire turc reflétait cette frustration et ce soulagement.

L’autre grand pays arabe qui s’est montré en phase avec l’atmosphère putschiste qui a régné Istanbul est l’Egypte de Abdelfatah al Sissi. Et pour cause, Erdogan n’a jamais accepté la chute du président égyptien Mohamed Morsi. Les relations entre l’Égypte et la Turquie ont depuis été sur le fil de rasoir… La confrérie des frères musulmans dont est proche Erdogan a été démantelée et criminalisée par le nouveau maitre du Caire Al Sissi. Les médias égyptiens ont crié victoire trop tôt. Ce qui a donné lieu à des pépites du décalage du discours médiatique qui ont fait le bonheur des réseaux sociaux. Des pays du Maghreb comme le Maroc ont ouvertement condamné la tentation de putsch. Le Premier ministre marocain, l’islamiste Abdelillah Benkirane dont le parti politique porte les mêmes références que l’AKP turc a écrit une lettre â Erdogan : "Le peuple turc a donné l’exemple dans la solidarité, la responsabilité et le courage en faisant face aux chars et aux balles, obligeant les milices armées à se retirer, avortant ainsi la tentative infructueuse du coup d’État".

D’autres pays arabes du Golfe sont restés dans une longue expectative. C’est que le personnage d’Erdogan, ses postures, ses tendances tout en mégalomanie, font peur. Il est perçu comme le chef politique de l’invisible organisation mondiale des frères musulmans dont la stratégie est sinon de contester du moins de peser sur le pouvoir dans ces pays. La chute d’Erdogan aurait été perçue comme un coup fatal à cette organisation.

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