Turquie: une économie vacillante à la merci de l’instabilité sécuritaire et politique

La fin de la trêve entre l’Etat turc et la rébellion kurde du PKK est un coup dur pour l’économie de la Turquie, qui était déjà dans une passe difficile et subira inévitablement le contrecoup d’une crise aggravée par des incertitudes politiques, estiment des experts.

Car l’absence d’accord de gouvernement, près de deux mois après des législatives marquées par la perte de la majorité absolue pour le parti islamo-conservateur au pouvoir AKP, inquiète autant les milieux économiques que des violences surtout concentrées jusque-là dans l’est du pays.

Le tourisme, déjà touché par la désaffection d’une partie du pourtour méditerranéen par les voyagistes, et la balance commerciale devraient être les principales victimes.

"La reprise des violences avec le PKK et la perspective d’une nouvelle élection, qui pourrait ne pas débloquer la situation politique, aura sans doute un coût sur les dépenses de l’Etat et un impact sur les taux d’intérêt qui devraient s’envoler", prévoit Inan Demir, économiste en chef à la Finansbank.

La perspective d’élections anticipées "pèse sur le climat des investissements", a-t-il aussi assuré à l’AFP.

L’AKP est en pourparlers avec les sociaux-démocrates du CHP mais les tractations n’avancent guère et, d’après la Constitution, les discussions ne peuvent se poursuivre au delà du 23 août. M. Erdogan pourrait ensuite dissoudre le Parlement et convoquer un nouveau scrutin à l’issue incertaine.

De quoi faire vaciller un peu plus un "miracle économique" turc qui a déjà du plomb dans l’aile.

Le pays a été présenté pendant près d’une décennie comme un des chefs de file des pays émergents, avec un taux de croissance flirtant parfois avec les 10%. Il s’est vite rétabli après la crise mondiale de 2008/2009, mais la mécanique s’essoufle depuis trois ans.

Rares sont les indices économiques dont le pouvoir peut désormais se féliciter. La croissance s’est ralentie à 2,4% l’an dernier et la livre turque s’est massivement dépréciée. Et l’objectif gouvernemental d’une croissance de 4% pour 2015, déjà revu à la baisse, sera "difficile à atteindre", de l’avis de M. Demir.

Quant à la Bourse d’Istanbul, elle a perdu près de 20% depuis le début de l’année, un plongeon plus marqué que dans la plupart des autres pays émergents.

"Aucune chance d’éclaircie"

Secteur clé pour l’économie, le tourisme pouvait espérer bénéficier d’un effet report après l’attentat en juin dans un hôtel de touristes en Tunisie. Des tours-opérateurs, notamment allemands, avaient alors indiqué qu’ils redirigeraient certains clients vers la Turquie. Mais ce regain d’intérêt risque d’être de courte durée.

En raison des guerres en Syrie et en Irak, deux pays frontaliers, les revenus touristiques de la Turquie ont chuté de près de 9% durant les six premiers mois de 2015, passant à 12,5 mds de dollars contre 13,7 mds pour la même période de l’année précédente, selon des chiffres officiels.

La tendance est la même pour les exportations, tombées à à 73,3 mds de dollars contre 80 mds en 2014 sur la période janvier-juillet.

"Dans la période à venir, il n’y a aucune chance d’une éclaircie sur ces deux points", affirmait lundi l’économiste Güngör Uras dans le journal Milliyet, en évoquant les problèmes du tourisme et de la balance commerciale, déjà chroniquement déficitaire.

Pour cet expert respecté, les faiblesses de ces deux secteurs auront aussi "un effet néfaste sur la production industrielle".

"L’instabilité politique est la chose la plus détestéé par les investisseurs étrangers", rappelle à l’AFP l’analyste politique Serkan Demirtas (sans lien avec le leader prokurde Selahhatin Demirtas).

"La Turquie doit son +miracle+ à l’arrivée en masse de liquidités. Si cela n’est plus possible il y a évidemment un risque pour l’économie", ajoute-t-il, en jugeant probable l’organisation de législatives anticipées qui prolongerait l’incertitude.

Le président turc Recp Tayyip Erdogan ne semble toutefois pas s’inquiéter, estimant que la "situation est passagère".

"Je n’envisage pas de difficultés économiques sérieuses", a-t-il déclaré à des journalistes l’accompagnant dans une récente tournée en Asie. Il s’est dit convaincu que si "une transition saine" avait lieu, en allusion à la formation d’un gouvernement, l’économie se rétablirait rapidement.

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Ce site Web utilise des cookies pour améliorer votre expérience. Nous supposerons que vous êtes d'accord avec cela, mais vous pouvez vous désinscrire si vous le souhaitez. J'accepte Lire la suite