Turquie : les islamistes en guerre ouverte

Corruption . L’arrestation de cadres de l’AKP attise le conflit entre Erdogan et la confrérie de Gülen.

Un conflit aussi implacable qu’inédit oppose le Premier ministre islamo-conservateur Recep Tayyip Erdogan, le leader de l’AKP au pouvoir depuis novembre 2002, à la très influente confrérie islamiste de Fethullah Gülen, qui fut longtemps son alliée. Cinq hauts responsables de la police ont été démissionnés hier pour leur rôle dans une opération anticorruption sans précédent visant l’AKP.

Pourquoi ce coup de filet ?

L’enquête menée depuis plus d’un an par des magistrats d’Istanbul, dont le procureur Zekeriya Oz, considéré comme proche de la Cemaat (la confrérie de Fethullah Gülen), sans que les services secrets (MIT) et le ministre de la Justice n’en aient eu vent, touche le parti au pouvoir en son cœur et sur son point le plus sensible : la corruption. Un sujet tabou dans les médias, en particulier quand elle touche la famille des grands barons de l’AKP.

Les fils du ministre de l’Intérieur, Muammer Güler, de celui de l’Economie, Zafer Caglayan, et de son collègue de l’Environnement, Erdogan Bayraktar, ont été placés en garde à vue en même temps qu’une cinquantaine d’autres personnalités, dont Suleyman Aslan, PDG de Halk Bankasi, une importante banque publique, des patrons, des hauts cadres du parti et le maire du très islamiste quartier Fatih d’Istanbul. Ils sont soupçonnés de corruption active, de fraude, de blanchiment d’argent. Le ministre des Affaires européennes, Egemen Bagis, serait aussi éclaboussé dans l’affaire. «Le divorce entre l’AKP et la Cemaat est en train de se transformer en une guerre ouverte dans laquelle les deux parties vont perdre énormément», relève Kadri Gürsel, éditorialiste du quotidien libéral Milliyet.

Pourquoi ce bras de fer ?

La toute-puissante Cemaat – dont le chef spirituel Fethullah Gülen, poursuivi pour activités antilaïques, est réfugié aux Etats-Unis depuis 1999 – avait longtemps soutenu l’AKP, partageant peu ou prou le même projet d’islamisation de la société et des institutions. Mais les deux forces sont de natures différentes. «La confrérie veut se débarrasser d’Erdogan, car elle le perçoit désormais comme une menace pour sa propre existence, mais elle ne lutte pas tant contre l’AKP que contre le Premier ministre lui-même ; elle ne veut pas tant casser le vase qu’en changer l’eau qui, selon elle, est pourrie», analyse Kadri Gürsel. L’AKP de Recep Tayyip Erdogan, issu de l’ancien parti islamiste Refah, est avant tout un mouvement politique. La confrérie, plus libérale et pro-occidentale, mais encore plus bigote, dont le maître mot est «hizmet» («service»), mise, elle, avant tout sur son pouvoir d’influence au travers de ses journaux, dont Zaman, l’un des principaux quotidiens du pays, ses réseaux d’écoles, y compris en Europe et en Afrique, et l’infiltration massive de l’appareil policier et judiciaire.

Quelles seront les conséquences ?

Le bras de fer entre l’AKP et la Cemaat ne pourra que s’envenimer en 2014, année cruciale avec des élections municipales en mars et la présidentielle à l’automne – la première au suffrage universel -, où Erdogan sera en lice.

Le conflit avait commencé en février 2012, quand les réseaux «gülenistes» tentèrent d’avoir la tête du patron des services secrets, Hakan Fidan, proche d’Erdogan. Ce dernier décida alors de casser le pouvoir de la Cemaat. Au printemps, des proches de la confrérie, dont le vice-Premier ministre, Bülent Arinç, avaient dénoncé l’excès de répression contre les manifestants d’Istanbul. Il y a un mois, le gouvernement a supprimé les cours de soutien scolaire, manne dont profitait la confrérie. L’opposition laïque compte bien profiter de cette guerre interne islamiste qui va éparpiller l’électorat et du grand déballage des affaires.

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