Tunisie : les dernières heures du gouvernement Essid

Face aux députés, Habib Essid a « joué la carte de la constitution ». Il n’obtiendra pas le vote de confiance. Une période d’incertitude s’ouvre

Journée particulière au Bardo. Le chef du gouvernement Habib Essid avait précisé qu’il « était entré par la porte de la Constitution » et qu’il en sortirait de la même façon. Malgré les pressions dont il a fait l’objet, l’homme a refusé de démissionner. Il s’est adressé aux 186 élus présents sur les 217 que comptent l’ARP. Son discours du jour a tranché avec les précédents.

Un discours plein de franchise

Essid n’a rien d’un communicant émérite. Ce matin, changement de ton. Tel un animal blessé par les accusations des partis politiques et du président de la République Béji Caïd Essebsi, il a parlé avec franchise aux député(e)s. Il n’a pas cherché à enjoliver son bilan en avouant son échec sur le dossier du chômage « à l’origine de la révolution », a-t-il rappelé. Et de préciser : « On ne pourra jamais résoudre le problème du chômage si l’on continue à changer de gouvernements tous les deux ans. » Il a glissé quelques bombinettes dans son allocution disant qu’il « était plus facile de lutter contre le terrorisme que contre la corruption ». Qu’il avait refusé la proposition de certains de transformer « Gafsa en zone militaire » (la région du phosphate). Et que le report des élections municipales (prévues pour mars 2017, elles seront décalées au second semestre) « aura des conséquences très graves pour le pays ». À bon entendeur… Et de terminer, glacial : « Je ne suis pas là pour vous convaincre, je sais que vous n’allez pas voter pour le gouvernement .» Des députés s’apprêtant à voter pour la défiance l’ont applaudi.

Essid critiqué, Essid compris

Ceux et celles qui s’étaient inscrits préalablement auprès du bureau de l’ARP ont pu prendre la parole pendant trois minutes chacun. Zied Lakhder du Front populaire (extrême gauche) a tapé fort : « La majorité favorise la corruption et ses actes sont basés sur les calculs politiques. » Et celui-ci, dont le groupe n’avait pas voté la confiance en 2015 au gouvernement entrant, d’enfoncer le clou : « De quel État parle-t-on quand on apprend qu’il y a des pressions sur le chef du gouvernement ? » Il fait allusion aux propos accordés au quotidien La Presse de Tunisie par Essid. Il racontait pressions et menaces à peine voilées à son égard s’il refusait de démissionner. Quant au député Mouakhar d’Afek Tounes (parti membre de la coalition au pouvoir), il a fait l’éloge de « Essid, une personne intègre et sérieuse » tout en estimant que « le développement économique est très faible ».

Des jugements durs du côté de Nidaa Tounes

Côté Nidaa Tounes, le parti de BCE, l’élu Saadaoui a estimé que « le gouvernement a échoué à tous les nivaux, il n’a même pas trouvé de solutions contre le commerce parallèle ». Hatem Nasfi, membre d’Al Horra, ex-Nidaa Tounes, a proclamé que « les mafieux avaient plus de pouvoirs que le gouvernement ! » L’élu Medni, Nidaa, a parachevé l’épitaphe d’un cruel « vous n’avez rien fait pour lutter contre la corruption ». Nidaa Tounes occupe pourtant des ministères-clés : Éducation, Santé, Tourisme, Finances…

De la prudence chez Ennahda

Chez Ennahda, l’autre poids lourd de la coalition, on a déclaré que « le gouvernement a réussi au niveau de la sûreté, mais n’a pas réussi au niveau du développement économique ». Le parti de Rached Ghannouchi n’avait qu’un ministre, celui de l’Emploi. Les rumeurs lui en promettent beaucoup plus dans le futur gouvernement d’union nationale qui tarde à aboutir.

Cela fera deux mois, le 2 août, que BCE a lancé cette initiative. Les anciens soutiens d’Habib Essid ont été féroces. Provoquant dans la population, pourtant peu amène avec sa classe politique, un courant de sympathie en faveur du chef du gouvernement.

Essid a joué « la carte de la constitution »…

En demandant un vote de confiance à l’ARP, Essid a publiquement défié le maître de Carthage, le président Essebsi. En haut fonctionnaire serviteur de l’État, il a martelé qu’il jouait la carte de la Constitution. La Tunisie vit aujourd’hui un exercice démocratique grandeur nature. Si les résultats sont connus d’avance, les quatre groupes composant la coalition ayant indiqué ne pas voter la confiance, la jeune démocratie s’affirme avec cette séance plénière.

… en attendant la désignation de son successeur

À partir de ce soir, Essid assurera l’intérim en attendant son successeur. Plusieurs noms circulent : ceux de Neji Jalloul, le ministre de l’Éducation, et de Slim Chaker, ministre des Finances. Tous deux membres de Nidaa Tounes. Le leader d’Ennahda aurait donné son accord pour Chaker. Le mois d’août sera celui de l’instabilité politique. Alors que le dinar tunisien s’affaisse face au dollar et à l’euro, que la rentrée s’annonce socialement abrasive, que l’administration est en mode « attentiste » sans nouveau patron, que la grande conférence qui réunira des chefs d’État du monde entier les 29 et 30 novembre s’approche à grands pas. Le ministre du Développement, Yassine Brahim, y présentera le plan quinquennal composé d’une liste d’investissements à réaliser à travers tout le pays.

Pendant la séance, un député jouait à Candy Crush sur son portable. Un autre aux cartes. À 13 h 15, on levait la séance plénière. Reprise à 15 heures. Soixante-huit députés doivent encore intervenir avant qu’on ne passe au vote. Une journée particulière au palais du Bardo.

Source Le Point

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