Tunisie: à Kasserine, frustration des forces de l’ordre et amertume des habitants

Avec des pneus brûlés et un tas de pierres, la famille de Hicham Missaoui, gendarme blessé par des "terroristes", a bloqué la route de Kasserine. Une action qui illustre le ras-le-bol de cette ville tunisienne particulièrement touchée par l’essor des jihadistes.

"Ecrivez-le: nous sommes solidaires", lance à l’AFP l’un des agents de la Garde nationale, l’équivalent de la gendarmerie, postés au rond-point menant à cette grande cité du centre-ouest tunisien peuplée de 90.000 habitants.

"Ce qui lui est arrivé pourrait m’arriver demain. Et quand on voit comment il a été traité par l’Etat, on se demande vraiment à quoi bon", s’emporte un autre agent, qui refuse aussi d’être identifié.

Selon son frère Karim, Hicham Missaoui est paralysé depuis qu’il a été atteint par une balle lors d’une course-poursuite avec des jihadistes présumés.

Pour ses proches, son cas est emblématique de la nouvelle réalité dans la région de Kasserine, située au pied du mont Chaambi, où les forces armées tentent depuis près de deux ans de déloger sans succès, malgré des bombardements sporadiques et des attaques au sol, des jihadistes liés à Al-Qaïda.

"Le terrorisme, ça a commencé après la révolution. On ne s’attendait pas à en avoir en Tunisie", déclare à l’AFP Karim Missaoui. Depuis début 2011, des dizaines de soldats, de gendarmes et de policiers ont été tués dans des incidents impliquant des groupes armés extrémistes.

Alors que le régime déchu réprimait aveuglément les islamistes, les forces tunisiennes se disent désormais prises en étau en raison du manque de formation et d’équipements, comme lorsque la maison de famille du ministre de l’Intérieur Lotfi Ben Jeddou a été attaquée en mai, coûtant la vie à quatre policiers.

"Comment affronter quelqu’un qui est complètement équipé ? Qui porte le dernier modèle de gilet pare-balles, (qui a) des armes, des RPG ? Et moi je (dois y) aller avec un (fusil) Steyr ? C’est déséquilibré", déclare à l’AFP Mohamed Omri, le porte-parole du syndicat régional des forces de sécurité intérieure, même s’il reconnaît que "la situation s’est récemment améliorée".

– Des gens de "chez nous" –

Si la lutte contre les jihadistes est sur les lèvres de tous les partis politiques et des autorités en vue des législatives de dimanche, des habitants de Kasserine martèlent que la classe politique a d’ores et déjà échoué, le chômage et la misère poussant la jeunesse à la dérive près de quatre ans après la révolution.

"S’il y avait des choses bien à Kasserine, du développement, des usines, des emplois, il n’y aurait aucun problème", juge Bilel Nasri, un jeune chômeur, qui dit passer de longues heures à converser avec ses amis, eux aussi sans emploi, au bord des rues poussiéreuses et défoncées de la Cité Ezzouhour, un quartier populaire de Kasserine.

Mais si un jeune "n’a pas de quoi acheter des livres, des vêtements, il prend le mauvais chemin. Même sans parler de terrorisme, il va faire de mauvaises choses", ajoute-t-il.

"Mon fils, qui est au lycée, m’a dit un jour : +à quoi bon étudier? Tu devrais m’acheter un pick-up, j’irais faire de la contrebande. Au moins je gagnerais de l’argent+", raconte une couturière de la ville.

D’autres préviennent que le phénomène est en train de prendre racine.

"Le terrorisme? Il vient de gens qui vivent parmi nous", admet une mère de famille préférant rester anonyme. "Et lutter contre est difficile: un jeune qui va à la montagne, pensez-vous que sa mère va le dénoncer? Non. Même si elle n’est pas d’accord, elle va l’accueillir, lui et ses compagnons, et leur donner à manger", dit-elle.

Et ce n’est pas des politiques que Hosni Bouazza, un surveillant de 26 ans, attend le salut: "Je n’ai confiance en aucun de ces candidats", dit-il en montrant les affiches des listes en lice pour les législatives.

"Aucun d’eux ne fera de bien à Kasserine. Ils ne cherchent que le pouvoir. Et pour nous, ce sera encore plus de déprime, de déception et de pauvreté", lance-t-il avec amertume.

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