Tournée africaine du Roi du Maroc : « Les liens entre le Maroc et l’Afrique sont quasiment constitutifs de la nation marocaine » (Expert Afrique)

Dans un entretien à Atlasinfo, Barnard Lugan*, spécialiste de l’Afrique, professeur à l’Ecole de Guerre (Paris) et aux Ecoles de Saint-Cyr-Coëtquidan, a souligné que la tournée africaine du Roi Mohammed VI consacre les liens avec l’Afrique qui sont quasiment constitutifs de la nation marocaine. Sur le positionnement de plus en plus du Maroc comme un acteur incontournable de la lutte antiterroriste dans la région sahélo-saharienne, M. Lugan a relevé que cela ne plait pas forcement à Alger dont la lisibilité dans le dossier anti-terroriste est « loin d’être claire ». « Quels sont les liens exacts de certaines composantes de l’appareil sécuritaire algérien avec certains groupes islamistes ? », s’est-il interrogé. Quant à la formation d’imams africains par le Maroc pour lutter contre l’extrémisme, il a noté que le Maroc dispose pour cela de cartes importantes à la fois historiques et religieuses.

Propos recueillis par Hasna Daoudi

Le Roi Mohammed VI a entrepris une tournée dans plusieurs pays africains. Quelle est d’abord la portée symbolique de cette tournée ? Cette tournée consacre-t-elle aussi la vocation africaine du Maroc ?

J’ai toujours à l’esprit cette phrase du roi Hassan II qui répond votre question : « Le Maroc ressemble à un arbre dont les racines nourricières plongent profondément dans la terre d’Afrique, et qui respire grâce à son feuillage bruissant aux vents de l’Europe (…)
De fait, les liens entre le Maroc et l’Afrique sud saharienne sont quasiment constitutifs de la nation marocaine puisqu’ils remontent à la dynastie des Almoravides, ces Berbères sahariens qui, au XIe siècle, créèrent le Grand Maroc ou Empire des deux rives puisqu’il s’étendait du fleuve Sénégal jusqu’au centre de l’Espagne. Puis, sous les Saadiens (1554-1650) le Maroc domina toute la région, boucle du Niger incluse. A cette époque, à Gao et à Tombouctou, la prière du vendredi était dite au nom du sultan du Maroc.
Avant les partages coloniaux, l’influence marocaine se manifestait par la circulation d’une monnaie unique de Tanger à la vallée du fleuve Sénégal et par un même système de poids et de mesures Economiquement la région était alors totalement tournée vers le Maroc avec lequel elle constituait un même monde économique jalonné par les marchés de Sijilmassa, puis de Goulimine et de Tindouf au Nord et ceux de la vallée du fleuve Sénégal et de la région de Tombouctou au Sud.

Dans son discours devant le Forum économique maroco-ivoirien, le Roi Mohammed VI a dit qu’il « n’y a plus de terrain acquis ». Donc plus chasse gardée?

Le message est clair : l’Algérie a longtemps voulu faire de la région sa « chasse gardée », la politique d’Alger étant d’apparaître comme l’Etat dominant régionalement. Les cartes ont été symboliquement redistribuées le 31 janvier 2014 avec la photo de Bilal Ag Acherif, le chef du MNLA priant à la droite du roi Mohammed VI dans la Koutoubia à Marrakech, preuve que les Touareg « raisonnables » ne veulent plus être les instruments de la diplomatie algérienne qui les a maintes fois abusés. Totalement empêtrée dans sa tragi-comédie électorale, l’Algérie s’est elle-même mise provisoirement hors jeu et le Maroc en a profité d’autant que l’on ne sait plus très bien quelle est la politique d’Alger. Aujourd’hui, elle semble prendre appui sur Iyad Ag Ghaly, le chef d’Ansar Eddine qui est pourtant considéré comme un chef terroriste.

Dans la lutte antiterroriste dans la région sahélo-saharienne, le Maroc s’impose de plus en plus comme un acteur incontournable. Ce positionnement ne doit pas plaire non plus à Alger?

Oui, d’autant plus que la lisibilité d’Alger dans le dossier anti-terroriste est là encore loin d’être claire. En effet, quels sont les liens exacts de certaines composantes de l’appareil sécuritaire algérien avec certains groupes islamistes ? La question est posée depuis des années.

Les implications du conflit au nord Mali se répercutent dans toute la région. Des éléments du Polisario se trouvaient parmi les terroristes. N’est-il pas urgent de régler le conflit du Sahara qui fait peser une menace sur la stabilité et la sécurité du Maghreb ?

Oui, mais l’Algérie bloque tout règlement. On aurait pu espérer qu’avec la fin du régime Bouteflika une nouvelle génération plus réaliste et moins soucieuse de rabâcher des haines vieillies et recuites aurait pu parvenir au pouvoir à Alger. Or, avec le quatrième mandat présidentiel qui semble se profiler, c’est tout au contraire la même politique fondée sur le ressentiment quasi psychanalytique vis-à-vis du Maroc qui va être continuée.
Dans le dossier du Sahara occidental, Alger n’a plus de politique lisible autre que celle consistant à tout faire pour tenter de gêner le Maroc à travers le Polisario qui n’est, comme chacun le sait, qu’un diverticule de ses services. Le problème est que certaines composantes du Polisario ayant pris leur autonomie se livrent désormais à des activités islamo-mafieuses ; dans ces conditions, la question va bientôt se poser de savoir si cette organisation procure à Alger plus d’avantages que de nuisances…

Le danger émanant de groupuscules extrémistes guette l’Afrique. Le Maroc a entrepris de former des imams africains autour des vraies valeurs de l’islam…

Dans la lutte contre le terrorisme islamiste sahélien, le Maroc dispose de cartes importantes. Elles sont historiques comme je l’ai dit plus haut, mais également religieuses et cela à un triple titre :

-L’islamisation ouest sahélienne, du Sénégal au Niger, s’est faite depuis le Maroc le long des axes du commerce à travers le Sahara, ce qui a donné à l’islam régional son rite malékite. Cette islamisation très originale s’est faite d’une part à travers les marabouts, spécialistes de l’enseignement, figures charismatiques porteuses de la baraka (bénédiction divine), et d’autre part à travers les soufis, érudits adeptes de la méditation et des pratiques mystiques (tassawuf).

– Le roi du Maroc est un descendant du Prophète et il est le Commandeur des croyants, statut qui lui est reconnu bien au-delà des frontières du Maroc.

– La confrérie Tijani, la Tarika Tijania, qui rayonne sur tout le Sahel occidental, a ses racines à Fès où est enterré Ahmad Tijani mort dans la ville le 19 septembre 1815. Cela fait de Fès et du Maroc un pôle essentiel pour des millions de Sénégalais et de Maliens pour lesquels le pèlerinage au mausolée du fondateur est quasiment aussi important que celui de La Mecque, ce qui est une abomination pour les wahhabites.

Les liens religieux contemporains entre le Maroc et la région sont illustrés par la grande mosquée de Dakar construite par le Maroc et par le programme de formation de 500 imams maliens qui va probablement être suivi par un programme similaire à la demande des autorités de Guinée. Le Maroc va également participer à la rénovation de plusieurs dizaines de mosquées dans toute la région sahélo-saharienne.

Une telle politique va avoir pour résultat de ne plus laisser le champ libre à des idéologies extrémistes, qui, depuis deux décennies, déstabilisent la région grâce à leurs considérables moyens financiers.

*Auteur d’une Histoire du Maroc des origines à nos jours.Ellipses,2011.

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