Tahar Ben Jelloun : il y a plus important que le vote des immigrés

La promesse n° 50 du candidat François Hollande peut rester dans les tiroirs. Lettre morte et enterrée. Ce n’est pas bien grave. Donner le droit de vote aux étrangers légalement installés en France depuis cinq ans concernant les élections locales, c’est-à-dire qui concernent leur vie quotidienne, n’est plus d’une importance primordiale. Déjà, François Mitterrand le leur avait promis. Mais rien n’a été fait. Si la France, qui a une tradition d’être une terre d’asile, était en parfaite concordance avec ses valeurs tant proclamées, si elle était dans une vraie et juste cohérence, le problème ne se poserait même pas. Mais qu’importe, car ce que réclament les millions d’immigrés qui travaillent, payent leurs impôts et essaient d’élever dans la dignité leurs enfants, c’est un peu de reconnaissance, pas de festivités et des discours lénifiants, mais de la justice et du respect. Ce n’est pas la fin du monde.

Depuis des décennies, ils sont stigmatisés, montrés du doigt par des partis politiques qui parient sur la peur et la haine pour atteindre leurs objectifs. Le droit de vote serait la moindre des choses, mais voilà, il faudra pour cela la majorité aux trois cinquièmes, ce qu’aucun pouvoir ne réussira à obtenir. L’affaire est entendue. À quoi bon en parler de nouveau ? Les immigrés participent avec leur force de travail à l’économie de ce pays, ce sont de bons consommateurs et ils respectent les lois.

"Le vote, je n’en ai rien à faire"

Parlant un jour avec un immigré marocain, père de six enfants, de cette promesse, il m’a dit ceci : "Au lieu de se battre pour un droit de vote, il vaut mieux qu’on cesse de nous désigner comme des profiteurs des allocations familiales, des parasites souvent contrôlés dans le métro ; il vaut mieux que le gouvernement s’occupe plus sérieusement de nos enfants, qui ne sont pas immigrés, mais des Français de seconde zone. Le vote, je n’en ai rien à faire. En revanche, traiter nos enfants comme des Français, voilà ce que nous demandons." Cet homme a quitté la France au moment de sa retraite. C’est lui qui m’a inspiré le personnage de mon roman Au pays, publié en 2009. Il est reparti laissant derrière lui ses enfants qui se battent comme ils peuvent pour trouver du travail et pour se dégager de la stigmatisation raciste.

Cet homme vit aujourd’hui dans son village natal et attend un jour la visite de ses enfants. Il a raison de considérer que le droit de vote n’est pas essentiel, car il y a bien des choses dont ces étrangers souffrent en silence et eux-mêmes n’en disent rien.

Il faudra qu’un jour un homme juste, un homme vrai, un responsable, dise à la population française ce que ces millions d’hommes et de femmes étaient venus faire dans ce pays, dire ce qu’ils sont et ce qu’ils apportent, dire ce que la France leur doit et ce qu’est leur vie dans un habitat pathogène, avec un chômage de 40 % chez leurs enfants qui souffrent souvent de discrimination, à l’embauche et ailleurs. Il y a peu de curiosité pour leur culture et surtout leur religion, devenue avec les turbulences mondiales assimilée à ce qui produit de la terreur dans des amalgames qui sont des insultes à ces familles paisibles.
Le mal est fait

Il est vrai que c’est parmi ces jeunes à l’espérance pleine de trous que des recruteurs de la mort trouvent des clients. Il est vrai que le désespoir est grand, celui des parents est immense parce qu’ils n’arrivent plus à retenir leurs progénitures face à l’appel du djihad. Cela concerne quelques centaines de familles. Pourtant, le mal est fait et il aura suffi d’un Mohamed Merah, un criminel assoiffé de mal, ou d’un autre assassin venu de Belgique pour que toute la communauté soit salie, confondue dans les mêmes images de terreur et de haine.

Non, personne n’a la moindre parole de consolation et de reconnaissance. Non, les immigrés ne bougeront pas de la case dans laquelle on les a cantonnés. Changer leur image, rétablir quelques vérités, être juste et ne plus poser sur eux un regard qui ne soit ni de la pitié ni du mépris. Voilà ce qu’ils réclament. Un peu de dignité, monsieur le président de la République.

Tahar Ben Jelloun

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